Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/387

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Néron, comme pris en flagrant délit d’infamie, s’empourpra de honte, jeta autour de lui un regard terrifié, et répliqua en balbutiant :

— Tu remarques tout, toi !… Je sais !… Je changerai !… Mais nul autre ne l’a remarqué, n’est-ce pas ? Quant à toi, je t’en conjure par les dieux, n’en dis rien à personne… si… si tu tiens à la vie.

Pétrone fronça les sourcils, et comme si, tout à coup, il se laissait aller à son ennui et à sa lassitude :

— Divin, tu peux me condamner à la mort, si je te gêne ; mais, ne m’en menace pas, de grâce, car les dieux savent si j’en ai peur.

Ce disant, il planta son regard dans les yeux de César.

— Ne te fâche pas !… Tu sais que je t’aime.

« Mauvais signe ! » — pensa Pétrone.

— Je voulais, aujourd’hui, vous inviter à un festin, — reprit Néron, — mais je préfère m’enfermer et ciseler ce vers maudit de la troisième strophe. D’autres que toi ont pu relever cette erreur : Sénèque, peut-être aussi Secundus Carinas… Mais, je vais me débarrasser d’eux sur-le-champ.

Il appela Sénèque et lui déclara qu’il l’envoyait avec Acratus et Secundus Carinas dans toutes les provinces d’Italie et d’ailleurs, pour y recueillir l’argent des villes, des villages et des temples fameux. Mais Sénèque, comprenant qu’on lui confiait là une besogne de pillard, de sacrilège et de bandit, refusa sans hésiter.

— Je dois partir pour la campagne, seigneur, — dit-il, — afin d’y attendre la mort ; je suis vieux et mes nerfs sont malades.

Les nerfs ibériens de Sénèque, plus résistants que ceux de Chilon, n’étaient peut-être pas malades ; mais sa santé était précaire ; il semblait une ombre et, ces derniers temps, sa tête avait complètement blanchi.

Néron lui jeta un coup d’œil et songea qu’en effet il n’aurait sans doute pas à attendre trop longtemps ; puis :

— Je ne veux point t’exposer à un voyage, si tu es malade ; mais, en raison de l’amour que j’ai pour toi, je désire t’avoir sous la main. Ainsi, au lieu de partir pour la campagne, tu vas t’enfermer dans ta maison et tu ne la quitteras plus.

Puis, il se mit à rire et poursuivit :

— Envoyer Acratus et Carinas seuls, c’est comme si j’envoyais des loups me chercher des moutons. Qui pourrais-je bien leur adjoindre comme chef ?

— Moi, seigneur, — dit Domitius Afer.

— Non ! Je ne veux point attirer sur Rome le courroux de Mercure, qui serait jaloux de vos friponneries. Il me faudrait quelque