Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/396

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— Pas de nouvelles de Niger ou de Nazaire ? — questionna Vinicius.

— Non ; nous ne les verrons qu’à minuit.

— As-tu remarqué que l’orage commence ?

— Oui. Demain, il doit y avoir une exhibition de chrétiens crucifiés. Peut-être que la pluie l’empêchera.

Puis, il s’approcha de Vinicius et lui toucha le bras :

— Tu ne la verras pas sur la croix, mais à Coriola. Par Castor ! je ne céderais pas pour toutes les gemmes de Rome le moment où nous la délivrerons. La soirée s’avance…

En effet, le soir approchait et l’obscurité commençait, avant l’heure, à envelopper la ville, en raison des nuages qui couvraient tout le ciel. La nuit venue, il tomba une forte averse qui s’évapora sur les pierres embrasées par toute une journée de chaleur et emplit les rues de buée. Puis il y eut des alternatives de calme et de brusques ondées.

— Hâtons-nous, — dit Vinicius, — il se pourrait qu’ils emportassent plus tôt les cadavres à cause de l’orage.

— Il est temps, — répondit Pétrone.

Ils prirent des manteaux gaulois à capuchon et sortirent par la porte du jardin. Pétrone s’était armé d’un court coutelas romain appelé sica, dont il se munissait toujours pour ses expéditions nocturnes. L’orage avait fait le vide dans les rues. Par instants, un éclair illuminait de clartés crues les murs des maisons récemment construites ou en construction, et les dalles humides qui pavaient les voies : à cette lueur, et après un assez long trajet, ils aperçurent enfin le tertre surmonté du temple minuscule de Libitine et, au pied, un groupe de mulets et de chevaux.

— Niger ! — appela tout bas Vinicius.

— Je suis là, seigneur, — répondit une voix dans la pluie.

— Tout est-il prêt ?

— Tout est prêt, maître chéri. Nous sommes ici depuis l’entrée de la nuit. Mais abritez-vous sous le remblai, car vous allez être trempés. Quel orage ! Je crois qu’il y aura de la grêle.

En effet, des grêlons tombèrent bientôt, d’abord menus, puis de plus en plus gros. Aussitôt, le temps se rafraîchit.

Eux, garantis par le tertre du vent et du choc des grêlons, causaient en étouffant leurs voix :

— Si même on nous apercevait, — disait Niger, — personne n’aurait de soupçons, car nous avons l’air de gens qui attendent la fin de l’orage. Mais j’ai peur qu’on ne remette à demain le transport des cadavres.

— La grêle ne tombera pas longtemps, — dit Pétrone. — D’ailleurs, s’il le faut, nous resterons là jusqu’à l’aube.

Et ils attendirent, l’oreille aux aguets à chaque bruit de pas lointain.