Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/397

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

La grêle avait cessé, mais une forte ondée lui avait succédé. Par instants, le vent s’élevait, apportant des Fosses Puantes l’affreuse odeur des cadavres en décomposition, que l’on enterrait presque à fleur de terre.

Niger dit soudain :

— Je vois une lueur à travers le brouillard…, une…, deux…, trois… Ce sont des torches.

Il se tourna vers les hommes :

— Veillez à ce que les mules ne s’effraient pas !

— Ils viennent, — dit Pétrone.

En effet, les lumières devenaient plus vives. On put distinguer les flammes des torches qui vacillaient au souffle du vent.

Niger se signa et se mit à prier. À la hauteur du temple, le lugubre convoi s’arrêta. Pétrone, Vinicius et le fermier, inquiets, se serrèrent en silence contre le tertre. Mais les porteurs n’avaient fait halte que pour se couvrir d’un linge le visage et la bouche et se garantir ainsi de la puanteur qui, aux abords du charnier, était abominable ; bientôt ils reprirent les brancards et poursuivirent leur chemin.

Un seul cercueil s’arrêta en face du petit temple.

Vinicius s’élança, suivi de Pétrone, de Niger et des deux esclaves bretons avec la litière. Mais ils n’avaient pas eu le temps de s’approcher que, dans l’obscurité, s’était élevée la voix douloureuse de Nazaire :

— Seigneur, on l’a transférée avec Ursus dans la prison Esquiline… Nous portons un autre corps ! On l’a emmenée avant minuit !


En rentrant chez lui, Pétrone était sombre comme l’orage, et il n’essayait même pas de consoler Vinicius. Il comprenait l’inutilité de songer à faire évader Lygie des caveaux esquilins. Il devinait qu’on l’avait transférée là afin qu’elle ne mourût point de la fièvre et n’échappât point à l’arène qui lui était destinée. Cela voulait dire aussi qu’on la surveillait avec plus de précaution que les autres.

Pétrone s’apitoyait de tout son cœur sur elle et sur Vinicius ; et il songeait aussi que, pour la première fois, il était vaincu dans la lutte qu’il avait entreprise.

« La Fortune m’abandonne, — se disait-il. — Mais les dieux se trompent s’ils s’imaginent que je consentirai à mener une vie comme la sienne, par exemple. »

Il tourna les yeux vers Vinicius qui le regardait, les prunelles dilatées.

— Qu’as-tu ? Tu as la fièvre ? — demanda Pétrone.