Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/40

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

roseau de la main, le brisa et en jeta les morceaux ; puis il lui enfonça ses doigts dans l’épaule et, visage contre visage, lui cria d’une voix rauque :

— Qu’en as-tu fait ? où est-elle ?

Il se produisit une chose singulière : l’élégant, l’efféminé Pétrone, saisit la main que le jeune athlète lui incrustait dans l’épaule, l’autre ensuite, et les enserrant toutes les deux dans une seule des siennes comme dans un étau, il dit :

— Je ne suis faible que le matin, mais le soir je retrouve ma vigueur. Essaye de te dégager ! tu as appris la gymnastique à l’école d’un tisserand et les usages chez un forgeron.

Ses traits n’exprimaient même pas la colère. Dans ses yeux seulement passa un pâle reflet de fermeté et d’énergie. Après quelques instants, il lâcha les mains de Vinicius, qui resta devant lui humilié et furieux.

— Tu as une main d’acier ; mais, par tous les dieux infernaux, si tu m’as trahi, je jure de te plonger un couteau dans la gorge, et cela jusque dans les appartements de César.

— Causons tranquillement, — répliqua Pétrone. — Tu le vois, l’acier est plus résistant que le fer. Bien que, de chacune de tes mains, on pût faire deux des miennes, je ne saurais te craindre. En revanche, ta grossièreté me chagrine. Si l’ingratitude humaine pouvait encore m’étonner, je m’étonnerais de la tienne.

— Où est Lygie ?

— Au lupanar, c’est-à-dire dans la maison de César.

— Pétrone !

— Prends un siège et calme-toi. J’ai demandé deux choses à César, qui me les a promises : d’abord de retirer Lygie de la maison des Aulus ; ensuite, de te la remettre. Ne dissimules-tu pas un couteau dans les plis de ta toge ? et ne vas-tu pas me frapper ? Toutefois, je te conseille d’attendre quelques jours, car on te mettrait en prison, tandis que Lygie se morfondrait chez toi.

Un silence suivit. Vinicius regarda quelques instants Pétrone avec des yeux étonnés et lui dit :

— Pardonne-moi ; je l’aime, et l’amour me fait perdre la tête.

— Admire-moi, Marcus. Avant-hier, j’ai dit ceci à César : « Mon neveu Vinicius est si amoureux d’une maigre fillette élevée chez les Aulus, que ses soupirs transforment sa maison en un bain de vapeur. Ni toi, César, — ajoutai-je, — ni moi, amateurs de la seule vraie beauté, n’en donnerions mille sesterces, mais toujours ce garçon-là fut aussi sot qu’un trépied. »

— Pétrone !

— Si tu ne comprends pas qu’en parlant de la sorte je voulais préserver