Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/412

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foi. » Non, Lygie ! Christ aura pitié de moi… Il ne veut pas, il ne souffrira pas que tu meures… Je te jure par le nom du Sauveur que Pierre prie pour toi !

L’unique lampion suspendu au-dessus de la porte s’était éteint ; mais la lueur de la lune entrait maintenant à large nappe par le soupirail. Dans le coin opposé, un enfant se plaignit, puis se tut. Du dehors venaient les voix des prétoriens, qui, après la relève, jouaient sous le mur aux scriptæ duodecim.

Après un silence, Lygie répondit :

— Marcus, Christ lui-même s’est écrié : « Mon père, éloignez de moi ce calice d’amertume ! » Et pourtant Il l’a bu jusqu’à la lie, et Il est mort sur la croix. Maintenant, des milliers périssent pour Lui ; pourquoi, seule, serais-je épargnée ? Que suis-je donc, Marcus ? Tu as bien entendu Pierre dire que lui aussi mourrait dans les supplices. Que suis-je auprès de lui ? Quand les prétoriens sont venus pour nous chercher, j’ai eu peur de la mort et de la torture, mais maintenant je ne les crains plus. Vois comme elle est épouvantable, cette prison ; et moi, je vais au ciel. Songe qu’ici-bas il y a César, et que là-haut il y a le Sauveur, qui est bon et miséricordieux. Et la mort n’existe pas. Tu m’aimes : songe combien je vais être heureuse. Songe, mon Marcus, que là-haut tu viendras me rejoindre.

Elle se tut, pour aspirer un peu d’air, puis, saisissant la main de Vinicius, elle l’éleva jusqu’à ses lèvres :

— Marcus !

— Quoi, mon aimée ?

— Il ne faudra pas que tu me pleures. Souviens-toi que tu viendras me retrouver là-haut. Ma vie n’aura pas été longue, mais Dieu m’aura donné ton âme. Et je veux pouvoir dire au Christ que, bien que je sois morte, bien que tu m’aies vu mourir, et bien que tu sois resté dans la désolation, tu n’as pas maudit Sa volonté, et que tu L’aimes immensément. Car tu L’aimeras, n’est-ce pas, et tu accepteras que je meure ?… Autrement, Il nous séparerait… Et moi, je t’aime et je veux être avec toi.

De nouveau le souffle lui manqua et elle finit d’une voix presque inintelligible :

— Promets-le-moi, Marcus !…

Vinicius l’étreignit dans ses bras tremblants et répondit :

— Sur ta tête sacrée, je te le promets !

Alors, sous la lueur blafarde, il vit rayonner le visage de Lygie. Elle porta encore une fois la main de Vinicius à ses lèvres et murmura :

— Je suis ta femme !…

Derrière le mur s’élevèrent les voix querelleuses des prétoriens qui jouaient aux scriptæ duodecim.