Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/414

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

la souffrance, sur ce grabat de prison, pour eux le ciel avait commencé. Lygie, déjà sauvée, déjà sanctifiée, prenant Vinicius par la main, le conduisait vers l’éternelle source de vie.

Pétrone était stupéfait de constater sur le visage de Vinicius une quiétude toujours plus grande et un rayonnement qu’il n’y avait jamais vu. Par instants, il pensait que Vinicius avait découvert quelque nouveau moyen de salut, et il s’affectait que cet espoir ne lui fût point révélé.

Enfin, n’y tenant plus, il demanda :

— À présent, tu parais tout changé ; ne fais pas de mystère avec moi, car je veux et je peux t’être utile : as-tu trouvé quelque chose ?

— Oui, j’ai trouvé, — répondit Vinicius, — mais tu ne saurais me seconder. Après sa mort, je confesserai ma foi et je la suivrai.

— Tu n’as donc plus d’espoir ?

— Au contraire : Christ me la rendra, et plus jamais nous ne serons séparés.

Pétrone se mit à marcher le long de l’atrium avec une expression d’impatience et de mécontentement, puis il dit :

— Point n’est besoin pour cela de votre Christ. Notre Thanatos[1] peut vous rendre le même service.

Vinicius sourit avec tristesse et répondit :

— Non, mon cher. Mais tu ne veux pas comprendre.

— Je ne veux, et je ne peux pas comprendre, — répliqua Pétrone. — D’ailleurs, ce n’est point l’heure de disserter, mais te souviens-tu de ce que tu as dit la nuit où nous avons vainement tenté de la faire évader du tullianum ? Moi, j’avais perdu tout espoir ; mais toi, tu as dit en rentrant : « Malgré tout, je crois que Christ peut me la rendre ! » Qu’il te la rende !… Si je jette une coupe précieuse dans la mer, aucun de nos dieux ne sera capable de me la rendre ; et, si votre dieu n’est pas plus empressé à vous plaire, je ne vois pas pourquoi je le vénérerais au détriment des dieux anciens.

— Aussi me la rendra-t-il, — fit Vinicius.

Pétrone haussa les épaules.

— Sais-tu que c’est avec des chrétiens que l’on illumine demain les jardins de César ?

— Demain ? — répéta Vinicius.

Son cœur tressaillait de détresse et d’épouvante devant l’imminence de cette horrible réalité. Il pensa que peut-être la prochaine nuit était la dernière qu’il passerait avec Lygie. Il prit donc

  1. Le génie de la Mort. (Note de l’auteur.)