Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/415

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congé de Pétrone et se rendit en hâte auprès du gardien des puticuli, pour lui demander sa tessera. Une déception l’attendait : le gardien refusa de lui donner le jeton.

— Pardonne-moi, seigneur, — dit-il, — j’ai fait pour toi ce que j’ai pu ; mais je ne puis risquer ma vie. Cette nuit, on conduira les chrétiens dans les jardins de César. La prison sera pleine de soldats et de fonctionnaires. Si tu étais reconnu, je serais perdu, et mes enfants avec moi.

Vinicius comprit l’inutilité d’insister. Mais il eut une lueur d’espoir : les soldats qui l’avaient déjà vu auparavant le laisseraient peut-être passer sans tessera. La nuit venue, il revêtit, comme à l’ordinaire, une tunique sordide, entoura sa tête d’un linge et se rendit à la prison.

Mais ce jour-là on vérifiait les jetons plus minutieusement encore et, pour comble de malheur, le centurion Scævinus, soldat inflexible et dévoué corps et âme à César, reconnut Vinicius.

Pourtant, dans cette poitrine cuirassée de fer couvait encore une étincelle de pitié pour l’infortune humaine, car, au lieu de donner l’alerte d’un coup de lance sur son bouclier, il prit Vinicius à part et lui dit :

— Rentre chez toi, seigneur. Je t’ai reconnu, mais je me tairai pour ne pas te perdre. Je ne puis te laisser entrer : retourne chez toi, et que les dieux t’envoient l’apaisement.

— Si tu ne peux me laisser entrer, — demanda Vinicius, — permets-moi au moins de rester ici et de voir ceux que l’on va emmener.

— Mes ordres ne s’y opposent pas.

Vinicius s’installa devant la porte et attendit la sortie des condamnés. Vers minuit enfin la porte s’ouvrit de toute sa largeur pour livrer passage à un torrent d’hommes, de femmes et d’enfants, encadrés par des détachements de prétoriens. La nuit était très claire, une nuit de pleine lune, et l’on pouvait même distinguer les visages des malheureux. Ils s’avançaient deux par deux, en un long et sinistre cortège, au milieu du silence troublé seulement par le cliquetis des armures. À voir leur nombre, on pouvait croire que tous les cachots dussent maintenant être vides.

En queue du cortège, Vinicius reconnut distinctement le médecin Glaucos, mais ni Lygie ni Ursus ne se trouvaient parmi les condamnés.