Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/417

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Aussitôt la paille imbibée de poix, dissimulée sous les fleurs, flamba d’une flamme claire qui, toujours augmentant, se mit à dérouler les guirlandes de lierre et à lécher les pieds des victimes. Le peuple se tut ; les jardins retentirent d’un gémissement unique et immense, fait de milliers de cris de douleur. Pourtant, quelques victimes, levant les yeux vers le ciel constellé, chantaient à la gloire du Christ. Le peuple écoutait. Mais les cœurs les plus endurcis s’emplirent d’épouvante quand, du haut des petits piquets, des voix déchirantes d’enfants se mirent à appeler « Maman ! Maman ! » Les gens ivres eux-mêmes furent secoués d’un frisson à la vue de ces petites têtes, de ces visages innocents crispés de douleur ou bien voilés par la fumée qui déjà commençait à suffoquer les victimes. La flamme montait toujours et consumait une à une les guirlandes de lierre et de roses. Les allées principales et les allées latérales s’embrasèrent ; les bouquets d’arbres s’illuminèrent, ainsi que les prairies, et les pelouses émaillées de fleurs ; l’eau des bassins et des étangs, les feuilles frissonnantes, se teintèrent de rouge. Et il fit clair comme en plein jour. L’odeur de la chair grillée emplit les jardins ; aussitôt des esclaves jetèrent de la myrrhe et de l’aloès sur les brûle-parfums disposés entre les poteaux. Çà et là, dans la foule, s’élevèrent des cris, cris de pitié autant que d’ivresse joyeuse ; ils croissaient d’instant en instant, à mesure que grandissait le feu, qui maintenant enveloppait les piquets, rampait vers les poitrines, tordait les cheveux de son haleine brûlante, voilait les visages noircis et, enfin, s’élevait plus haut encore, comme pour affirmer la victoire et le triomphe de la force qui l’avait déchaîné.

Dès le commencement du spectacle, César était apparu au milieu du peuple sur un magnifique quadrige de cirque, attelé de quatre coursiers blancs. Il portait un costume de cocher aux couleurs des Verts, son parti et celui de la cour. D’autres chars suivaient, montés par des courtisans aux vêtements splendides, des sénateurs, des prêtres, des bacchantes nues et couronnées de roses, ivres, des amphores aux mains, et s’époumonant en hurlements sauvages ; des musiciens costumés en faunes jouaient de la cithare, du phormynx, du fifre et du cor. D’autres chars portaient les matrones et les vierges romaines, également ivres et demi nues. De chaque côté des quadriges, des éphèbes agitaient leurs thyrses enrubannés ; d’autres jouaient du tambourin ; d’autres semaient des fleurs sous les pieds des chevaux. Au milieu des fumées et des torches humaines, le cortège s’avançait dans l’allée principale en criant « Evohé ! » César, ayant à ses côtés Tigellin et Chilon, dont la terreur l’amusait, conduisait ses chevaux au pas, contemplant les corps qui brûlaient et écoutant les acclamations du peuple. Debout sur son haut quadrige doré, dominant