Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/418

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les vagues humaines prosternées devant lui, éclairé par les flammes, ceint de la couronne d’or des triomphateurs du cirque, il apparaissait tel un géant dressé au-dessus de la foule. De ses bras monstrueux, tendus sur les rênes, il semblait faire le geste de bénir son peuple. Son visage et ses yeux mi-clos souriaient, et il rayonnait au-dessus des hommes, comme un soleil, ou comme un dieu terrible, superbe et tout-puissant.

Par instants, il s’arrêtait devant une vierge dont le sein commençait à grésiller dans la flamme, ou devant un enfant au visage contracté, puis continuait d’avancer, entraînant derrière lui le cortège ivre et délirant. De temps à autre il saluait le peuple, puis, tirant sur les rênes d’or, il se retournait pour causer à Tigellin. Enfin, parvenu à la grande fontaine, au carrefour de deux allées, il descendit de son quadrige, fit signe à ses compagnons et se mêla à la foule.

Il fut salué par des cris et des applaudissements. Les bacchantes, les nymphes, les sénateurs, les augustans, les prêtres, les faunes, les satyres et les soldats l’entourèrent d’un cercle houleux. Et lui, ayant d’un côté Tigellin, de l’autre Chilon, fit le tour de la fontaine, parmi plusieurs dizaines de torches qui flambaient. Il s’arrêtait pour faire des remarques sur certaines victimes, ou bien pour se moquer du Grec, dont le visage révélait un immense désespoir.

Enfin ils arrivèrent devant un mât très élevé, orné de myrte et festonné de lierre. Les langues de feu léchaient seulement les genoux de la victime, mais on ne pouvait distinguer son visage, voilé par la fumée des ramilles vertes qui s’enflammaient. Soudain, la brise nocturne balaya la fumée et découvrit la tête d’un vieillard, dont la barbe grise tombait sur la poitrine.

À cette vue, Chilon se roula sur lui-même comme un reptile blessé, et de sa bouche s’échappa un cri plus semblable à un croassement qu’à une voix humaine :

— Glaucos ! Glaucos !…

En effet, du sommet du poteau enflammé, le médecin Glaucos le regardait.

Il vivait encore. Penchant sa face douloureuse, il contemplait cet homme qui l’avait trahi, lui avait arraché sa femme et ses enfants ; l’avait attiré dans un guet-apens d’assassins et, tout cela lui ayant été pardonné au nom du Christ, venait une fois encore de le livrer aux bourreaux. Jamais aucun homme n’avait fait à son semblable autant de mal. Et voici que maintenant la victime brûlait sur le poteau résineux, tandis que l’assassin était à ses pieds ! Les yeux de Glaucos étaient rivés au visage du Grec. Par moments, la fumée les voilait, mais à chaque souffle de la brise, Chilon voyait de nouveau les prunelles de l’homme dardées sur lui.