Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/422

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accaparait, le conquérait, le conduisait comme un soldat conduit un captif. Et un instant après, il reprit :

— Viens avec moi, et je te mènerai vers Lui. Pourquoi suis-je venu auprès de toi ? Parce que Lui m’a commandé de recueillir les âmes au nom de l’amour, et j’accomplis Son ordre. Tu me dis : « Je suis maudit », et je te réponds : « Aie foi en Lui, et tu seras sauvé ! » Tu me dis : « Je suis réprouvé », et moi je te réponds : « Il t’aime ! » Regarde-moi ! Quand je ne L’aimais point, la haine seule habitait mon cœur ! Et maintenant, Son amour me tient lieu de père et de mère, de richesse et de royauté. En Lui seul est le refuge, Lui seul te comptera ton repentir. Il verra ta misère, et Il ôtera de toi la terreur et t’élèvera vers Lui.

Disant cela, Paul le conduisit vers la fontaine, dont l’onde argentée étincelait au loin sous la clarté de la lune. Alentour, c’était le calme et la solitude, car ici les esclaves avaient déjà enlevé les poteaux carbonisés et les cadavres des martyrs.

Chilon se jeta à genoux, se cacha la face dans les mains et resta sans mouvement. Paul leva son visage vers les étoiles et pria :

— Seigneur, — disait-il, — jette les yeux sur cet éprouve, sur son repentir, ses larmes, son supplice ! Dieu de miséricorde, qui as donné Ton sang pour nos péchés, par Ton supplice, par Ta mort et Ta résurrection, pardonne !

Et il se tut ; et longtemps encore, les yeux vers les étoiles, il pria.

Mais soudain, à ses pieds, s’éleva un appel gémissant :

— Christ !… Christ !… Absous-moi !…

Alors Paul s’approcha de la fontaine, puisa de l’eau dans ses deux paumes et revint vers le malheureux agenouillé.

— Chilon ! je te baptise, au nom du Père, du Fils et de l’Esprit-Saint ! Amen !

Chilon leva la tête et étendit les mains. De sa douce lueur la lune éclairait sa tête blanche et son blanc visage immobile, comme taillé dans de la pierre. Les instants tombaient un à un dans la nuit ; des grandes volières des Jardins de Domitia parvint jusqu’à eux le chant du coq. Lui restait à genoux, tel une statue funéraire.

Enfin, il sortit de sa torpeur, se leva et demanda à l’Apôtre :

— Que dois-je faire avant de mourir, seigneur ?

Paul se réveilla également de sa méditation sur cette incommensurable puissance à laquelle des âmes, même comme celle de ce Grec, ne pouvaient se soustraire, et répondit :

— Aie foi et témoigne de la vérité !

Ils se dirigèrent vers la sortie. Aux portes du jardin, l’Apôtre bénit