Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/423

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encore une fois le vieillard et ils se quittèrent, car Chilon lui-même l’avait exigé, prévoyant que César et Tigellin le feraient pourchasser.

Il ne se trompait point. En rentrant, il trouva sa maison cernée par des prétoriens, commandés par le centurion Scævinus, qui se saisirent de lui et le conduisirent au Palatin.

César reposait déjà, mais Tigellin attendait. Il salua l’infortuné Grec d’un visage calme, mais sinistre.

— Tu as commis le crime de lèse-majesté, — lui dit-il, — et tu n’échapperas point au châtiment. Cependant, si demain, au milieu de l’amphithéâtre, tu déclares que tu étais ivre et que tu divaguais, et que les chrétiens sont bien les incendiaires, ton châtiment se bornera aux verges et à l’exil.

— Je ne peux pas, seigneur, — répondit doucement Chilon.

Tigellin s’approcha de lui à pas lents et, d’une voix étouffée, mais terrible, demanda :

— Comment ! Tu ne peux pas, chien de Grec ? Tu n’étais donc pas ivre ? Tu ne comprends donc pas ce qui t’attend ? Regarde par là !

Et il lui montra un angle de l’atrium où, dans l’ombre, se tenaient debout, à côté d’un large banc de bois, quatre esclaves thraces ayant des cordes et des pinces dans les mains.

Chilon répéta :

— Je ne peux pas, seigneur !

La rage grondait dans l’âme de Tigellin, mais il se maîtrisa encore.

— Tu as vu comment mouraient les chrétiens ? Tu veux mourir de même ?

Le vieillard leva sa face pâlie ; un moment, ses lèvres s’agitèrent sans parler, puis il dit :

— Et moi aussi, je crois au Christ…

Tigellin le considéra avec stupeur :

— Chien ! Tu es vraiment devenu fou !

Et soudain, la fureur qui grondait en son âme éclata. Il bondit sur Chilon, lui saisit la barbe à deux mains, le fit rouler à terre et le piétina en répétant, l’écume aux lèvres :

— Tu rétracteras ! Tu rétracteras !

— Je ne peux pas ! — gémit le Grec sous le talon de Tigellin.

— À la torture !

Les Thraces saisirent le vieillard, l’étendirent sur le banc, le lièrent avec des cordes et se mirent à broyer de leurs pinces ses tibias décharnés. Mais lui, tandis qu’ils le ligotaient, leur baisait humblement les mains ; puis il ferma les yeux et resta sans mouvement, comme mort.

Pourtant il vivait, et quand Tigellin se pencha vers lui et lui dit