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une dernière fois : « Tu rétracteras ! » ses lèvres blêmes remuèrent faiblement, exhalant un murmure à peine perceptible :

— Je ne peux pas !…

Tigellin, la face contractée par la colère, mais en même temps avec un geste d’impuissance, fit interrompre la torture et se mit à marcher par l’atrium. Enfin, une idée nouvelle lui étant venue, il s’arrêta et, se tournant vers les Thraces, dit :

— Qu’on lui arrache la langue !


Chapitre LXIII.

Le drame Aureolus était d’ordinaire représenté dans les théâtres ou les amphithéâtres aménagés de façon à pouvoir s’ouvrir, en formant deux scènes distinctes. Mais, après le spectacle des jardins de César, on négligea ces dispositions afin de permettre à tous les assistants de voir la mort de l’esclave crucifié qui, dans le drame, était dévoré par un ours. Au théâtre, le rôle de l’ours était tenu par un acteur cousu dans une fourrure ; mais, cette fois, la représentation devait être « vécue ». C’était une nouvelle invention de Tigellin. Tout d’abord, César avait déclaré qu’il ne viendrait pas ; mais, sur le conseil de son favori, il avait changé d’avis. Tigellin l’avait persuadé qu’après ce qui s’était passé dans les jardins, il devait plus que jamais se montrer en public ; il lui affirma, en même temps, que l’esclave crucifié ne l’insulterait pas, ainsi que l’avait fait Crispus. Le peuple, déjà excédé et las des spectacles sanguinaires, il avait fallu, pour l’attirer, lui promettre de nouvelles largesses, ainsi qu’un souper dans l’amphithéâtre brillamment éclairé.

En effet, vers le soir, le cirque était bondé. Tous les augustans, Tigellin en tête, étaient venus, moins pour le spectacle que pour donner à César un témoignage de leur loyalisme après le dernier incident, et pour s’entretenir de Chilon, dont parlait tout Rome.

On contait à voix basse que César, au retour des jardins, avait été pris d’un accès de fureur et n’avait pu dormir de la nuit ; qu’il avait été saisi de terreur, assailli de visions étranges, et qu’il avait résolu de partir précipitamment pour l’Achaïe. D’autres assuraient, au contraire, qu’il était résolu à se montrer désormais plus implacable encore envers les chrétiens. Il ne manquait pas non plus de poltrons pour craindre que l’accusation jetée par Chilon à la face de César devant la foule pût avoir les conséquences les plus funestes. Enfin, il s’en trouvait qui, mus par un sentiment de pitié, demandaient à Tigellin de faire cesser la persécution.