Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/426

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— C’est la pure vérité, par le peplum sacré de Diane ! — s’écria Vestinus.

Barcus se tourna vers Pétrone :

— Où veux-tu en venir ?

— Je finis par où vous avez commencé : assez de sang comme cela.

Tigellin eut un sourire ironique :

— Eh ! encore un peu…

— Si ta tête ne te suffit pas, tu en as une autre sur ta canne ! — répliqua Pétrone.

La conversation fut interrompue par César qui prit place sur l’estrade en compagnie de Pythagore. Aussitôt commença l’Aureolus, auquel on ne prêtait que peu d’attention, toutes les pensées étant occupées par Chilon. Le peuple, blasé sur les tortures et le sang, s’ennuyait aussi, sifflait, poussait des cris impertinents à l’adresse de la cour et réclamait la scène de l’ours, la seule qui l’intéressât. Sans l’espoir de contempler le vieillard condamné, et le désir des cadeaux, le spectacle n’eût point retenu la foule.

Enfin voici le moment attendu. Les servants du cirque apportèrent d’abord une croix de bois, assez basse pour que l’ours, debout sur ses pattes de derrière, pût atteindre la poitrine du supplicié ; ensuite deux hommes amenèrent, ou plutôt traînèrent, sur l’arène Chilon qui, les jambes broyées, ne pouvait marcher. Il fut cloué si vivement sur l’arbre que les augustans ne purent le contempler à leur aise. Seulement quand la croix fut érigée, tous les yeux se tournèrent vers lui. Mais, dans ce vieil homme nu, bien peu de gens pouvaient reconnaître le Chilon de naguère. Après les tortures infligées par Tigellin, sa face n’avait plus une goutte de sang. Sur sa barbe blanche une traînée rouge révélait la langue arrachée. À travers la peau diaphane on pouvait presque distinguer les os. Il semblait plus vieux encore, presque décrépit. Naguère, ses yeux lançaient des regards inquiets et méchants, son visage reflétait constamment la crainte et l’incertitude ; à présent, il était douloureux, mais aussi doux et aussi paisible que celui d’un homme qui s’éteint. Le souvenir du larron sur la croix, auquel le Christ avait pardonné, lui donnait peut-être confiance. Peut-être disait-il en son âme au Dieu de miséricorde : « Seigneur, j’ai mordu, telle une bête venimeuse ; mais j’ai été misérable, j’ai crevé de faim, les hommes m’ont foulé aux pieds, m’ont battu et m’ont bafoué toute ma vie. J’ai été pauvre, Seigneur, et très malheureux ; et aujourd’hui encore ils m’ont torturé et m’ont mis en croix. Toi, ô Miséricordieux, tu ne me repousseras pas à l’heure de la mort ! » Et la paix semblait descendue, avec le repentir, dans ce cœur ulcéré.