Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/427

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Nul ne riait, car dans ce vieillard crucifié il y avait quelque chose de si doux, il paraissait si précaire, si désarmé, tellement pitoyable en son humilité, que chacun se demandait pourquoi l’on torturait et crucifiait ce moribond. La foule était silencieuse. Parmi les augustans, Vestinus se penchait à droite et à gauche et balbutiait d’une voix effarée :

— Voyez comme ils meurent !

Les autres attendaient l’apparition de l’ours, tout en souhaitant du fond de l’âme que le spectacle prit fin au plus vite.

Enfin, l’ours arriva lourdement sur l’arène, balançant sa tête basse, lançant des regards en dessous, comme s’il réfléchissait ou cherchait quelque chose. Ayant aperçu la croix et le corps nu, il s’approcha, se dressa, renifla, et, aussitôt après, retomba sur ses pattes, s’accroupit sous la croix et se mit à grogner, comme si son cœur de bête avait pitié de ce débris humain.

Les esclaves du cirque stimulaient l’ours par leurs cris ; mais le peuple restait muet. Cependant Chilon leva lentement la tête et promena ses regards sur l’assistance. Ses yeux s’arrêtèrent très haut, sur les derniers gradins de l’amphithéâtre. Alors, sa poitrine se mit à se soulever plus vivement et il se produisit une chose plus inattendue encore, qui frappa de stupeur tous les assistants. Son visage s’éclaira d’un sourire, son front se nimba de clarté, ses yeux s’élevèrent au ciel, et, de ses lourdes paupières, lentement, deux larmes descendirent le long de son visage.

Et il mourut.

Soudain, tout en haut, sous le velarium même, une voix mâle, sonore, s’écria :

— Paix aux martyrs !

Sur l’amphithéâtre pesait un lourd silence.


Chapitre LXIV.

Le spectacle des jardins de César avait sensiblement dégarni les prisons. On continuait, il est vrai, à poursuivre et à emprisonner les gens suspects d’être affiliés à la superstition orientale, mais les chasses à l’homme, de plus en plus rares, n’avaient plus pour objet que d’alimenter les spectacles, qui, d’ailleurs, touchaient à leur fin. Le peuple, rassasié de sang, montrait une anxiété toujours croissante, provoquée par l’étrange conduite des condamnés. Les appréhensions du superstitieux Vestinus troublaient toutes les âmes. Dans la foule, on contait des choses toujours plus extraordinaires sur les représailles qu’allait exercer la divinité chrétienne. La fièvre typhoïde qui, des prisons, s’était