Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/441

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de l’arracher, et enfin sa beauté et le dévouement du Lygien, tout cela remua les cœurs. Des gens croyaient que c’était un père qui implorait la grâce de son enfant. La pitié s’alluma comme une flamme. On avait eu assez de sang, assez de morts, assez de supplices. Des voix étranglées de sanglots exigeaient leur grâce à tous deux.

Cependant Ursus faisait le tour de l’arène, continuant à promener la jeune fille dans ses bras, suppliant des yeux et du geste qu’on laissât la vie sauve à Lygie. Soudain, Vinicius bondit de sa place, franchit la cloison du pourtour, se précipita vers Lygie et couvrit de sa toge le corps nu de sa fiancée.

Puis il déchira sa tunique sur sa poitrine, découvrant les cicatrices de ses blessures d’Arménie, et tendit les bras vers le peuple.

Alors, la frénésie dépassa les limites de tout ce qui s’était jamais vu à l’amphithéâtre. La foule se mit à trépigner et à hurler. Les voix qui réclamaient la grâce devinrent menaçantes. Le peuple prenait le parti, non seulement du géant, mais aussi de la vierge et du soldat, et de leur amour. Des milliers de spectateurs tournèrent vers César des poings crispés. Des éclairs de fureur luisaient dans tous les yeux. Néron hésitait. Il ne ressentait aucune haine pour Vinicius, il est vrai, et la mort de Lygie ne lui importait pas outre mesure. Mais il eût préféré voir le corps de la jeune fille éventré par les cornes du taureau, ou déchiqueté par les crocs des fauves. Sa cruauté, de même que son imagination dépravée, se complaisait voluptueusement à de tels spectacles. Et voici que le peuple voulait le priver de sa joie ! La fureur se peignit sur son visage bouffi de graisse. D’ailleurs, son amour-propre s’opposait à ce qu’il se soumît à la volonté de la populace ; d’autre part, sa couardise native l’empêchait d’oser un refus.

Aussi, se mit-il à chercher des yeux si du moins chez les augustans il apercevait un pouce tourné vers le sol en signe de mort. Mais Pétrone tendait sa paume levée et le regardait droit dans les yeux avec une nuance de défi. Le superstitieux Vestinus qui, très porté à l’émotion, craignait les fantômes, mais non les hommes, faisait aussi le signe de grâce. De même le sénateur Scævinus, de même Nerva, de même Tullius Sénécion, de même le vieux et fameux chef Ostorius Scapula, et Austilius, et Pison, et Vetus, et Crispinus, et Minutius Thermus, et Pontius Telesi-nus, ainsi que le plus austère de tous, Thraséas, vénéré du peuple. À cette vue, César éloigna l’émeraude de son œil avec une expression de mépris et de rancune ; mais Tigellin, qui voulait à tout prix vaincre Pétrone, se pencha et dit :

— Ne cède pas, divinité : nous avons les prétoriens.

Néron se tourna du côté où, à la tête de sa garde, se tenait le farouche