Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/442

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Subrius Flavius, qui lui avait été jusqu’ici dévoué corps et âme. Et il vit une chose inénarrable : la face rébarbative du vieux tribun était baignée de larmes, et de sa main levée, il faisait le signe de grâce.

Cependant, la rage croissait dans la foule. Sous les trépignements incessants, la poussière qui tourbillonnait voilait l’amphithéâtre. Aux clameurs se mêlaient des imprécations : « Ahénobarbe ! Matricide ! Incendiaire ! » Néron prit peur. Le peuple était maître souverain dans le cirque. Lorsque ses prédécesseurs, Caligula entre autres, s’étaient permis parfois de résister à la volonté populaire, il s’en était toujours suivi des bagarres, souvent même des rixes sanglantes ; or, Néron avait les coudées moins franches. D’abord, en tant que comédien et chanteur, il avait besoin de la faveur populaire ; ensuite, il voulait, dans sa lutte contre le Sénat et les patriciens, avoir le peuple pour lui ; enfin, depuis l’incendie de Rome, il s’était efforcé par tous les moyens de circonvenir la plèbe et de diriger sa colère sur les chrétiens. Il comprit qu’il serait dangereux de résister plus longtemps : une sédition née dans le cirque pouvait gagner toute la Ville et entraîner des conséquences incalculables.

Il jeta encore un regard vers Subrius Flavius, vers le centurion Scævinus, parent du sénateur, vers les soldats, et ne voyant partout que sourcils froncés, que visages émus et que regards dardés sur lui, il fit le signe de grâce.

Un tonnerre d’applaudissements éclata du haut en bas de l’hémicycle. Le peuple était sûr de la vie des condamnés : à partir de cet instant, ils étaient sous sa protection et nul, fût-ce César lui-même, n’eût plus osé les poursuivre de sa haine.

Chapitre LXVII

Quatre Bithyniens transportaient avec précaution Lygie vers la maison de Pétrone. Vinicius et Ursus, impatients de la confier à un médecin grec, marchaient à côté de la litière. Ils allaient silencieux, n’ayant point, après les émotions de la journée, la force de parler. Vinicius n’était pas encore revenu de sa stupéfaction. Il se répétait que Lygie était sauvée, qu’elle n’était plus menacée ni de la prison, ni de la mort dans l’arène, que leurs malheurs avaient pris fin, et qu’il l’emmenait chez lui pour ne plus jamais se séparer d’elle. Il lui semblait que ce fût là l’aurore d’une vie nouvelle, plutôt que la réalité.

De temps à autre, il se penchait vers la litière découverte, pour