Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/444

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d’ici-bas. Le trouble dans ses idées lui faisait accepter comme une chose toute naturelle que l’on eût fait halte à mi-chemin du ciel, en raison de sa fatigue et de sa faiblesse. Ne ressentant aucune douleur, elle sourit à Vinicius et voulut savoir où ils étaient ; mais ses lèvres ne purent émettre qu’un murmure presque inintelligible, où Vinicius n’entendit que son nom.

Il s’agenouilla près d’elle et, posant délicatement sa main sur ce front adoré :

— Christ t’a sauvée et t’a rendue à moi !

Les lèvres de Lygie s’agitèrent de nouveau dans un murmure indistinct ; ses paupières se refermèrent et elle tomba dans un profond sommeil, auquel s’attendait Théoclès et qu’il considérait comme un heureux symptôme.

Vinicius demeura près du lit, agenouillé et priant. Son âme se fondait dans un amour sans bornes. Il perdit conscience. Théoclès entra plusieurs fois dans le cubicule. À plusieurs reprises Eunice souleva la portière et montra sa tête dorée. Enfin les grues que l’on élevait dans les jardins se mirent à crier, annonçant le lever du jour.

Lui restait toujours prosterné aux pieds du Christ, sans rien voir, sans rien entendre, le cœur réduit en une seule flamme d’holocauste ; et, plongé dans l’extase, il se sentait, sur terre encore, à demi transporté vers le ciel.


Chapitre LXVIII.

Après la libération de Lygie, Pétrone, ne voulant point irriter César, le suivit au Palatin en compagnie des autres augustans. Il désirait entendre ce qui s’y disait et, avant tout, s’assurer que Tigellin ne découvrirait pas quelque nouveau moyen de perdre la jeune fille. Il est vrai qu’elle et Ursus étaient passés, pour ainsi dire, sous la protection du peuple et que personne n’eût pu lever la main sur eux sans provoquer une révolte. Mais Pétrone, connaissant la haine que lui avait vouée le tout-puissant préfet des prétoriens, pouvait craindre que, ne pouvant l’atteindre directement, celui-ci tentât de tirer vengeance de Vinicius.

Néron était fort en colère. Le spectacle s’était terminé d’une façon absolument contraire à ses désirs. D’abord, il ne daigna pas gratifier Pétrone d’un regard ; mais celui-ci, sans se démonter aucunement, s’approcha avec toute sa désinvolture d’arbitre des élégances et lui dit :

— Il m’est venu une idée, divin. Compose un poème sur la