Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/457

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moi ton voile, afin qu’on m’en couvre les yeux au moment où j’irai vers le Seigneur. » Et, prenant le voile, il poursuivit sa route avec le visage joyeux du tâcheron qui a bien peiné tout le jour et qui s’en revient vers sa demeure. Ses pensées, comme celles de Pierre, étaient paisibles et sereines, tel le ciel de ce soir. Ses yeux songeurs regardaient la plaine déroulée devant lui et les Monts Albains baignés de clarté solaire. Il se remémorait ses voyages, ses travaux, ses fatigues, ses luttes victorieuses, et les églises édifiées par lui sur tous les continents, par-delà de toutes les mers. Et il jugeait avoir gagné le repos. Lui aussi avait accompli son œuvre : la semence ne serait plus balayée par le vent de la fureur. Et il s’en allait, conscient que dans la guerre déclarée au monde par la vérité, la vérité serait victorieuse. Une infinie sérénité était épandue en lui.

La route était longue et le soir commença à tomber. Les monts s’empourprèrent, tandis qu’à leurs pieds l’ombre s’épaississait peu à peu. Les troupeaux rentraient au bercail. Des groupes d’esclaves revenaient, leurs outils sur l’épaule. Devant les maisons en bordure de la route s’ébattaient des enfants, intrigués au passage de l’escorte. Et de cette soirée, de la transparence dorée de cette atmosphère, se dégageait une paix sereine, une harmonie qui, de la terre, semblait prendre son essor vers les cieux. Paul le sentait, et son cœur était pénétré de joie que la musique de l’univers fût, grâce à lui, complétée d’un son nouveau, d’un son vierge, faute duquel, jadis, le monde était « ainsi que l’airain sonnant et les retentissantes cymbales ».

Il se souvint comment il avait enseigné l’amour, comment il avait dit aux hommes que, quand même ils distribueraient tous leurs biens aux pauvres, quand même ils connaîtraient toutes les langues, pénétreraient tous les mystères et toutes les sciences, ils ne seraient rien sans l’amour. L’amour qui était doux, résigné, bienfaisant, supportait tout, croyait tout, espérait tout, souffrait tout, et ne cherchait point de récompense !…

Voici que l’âge de sa vie s’était écoulé dans l’enseignement de cette vérité. Et il se disait : « Quelle force pourra la détruire et la vaincre ? Comment César l’étoufferait-il, dût-il posséder deux fois plus de légions, deux fois plus de villes, et de mers, et de terres, et de nations ?… »

Et, victorieux, il allait recevoir son salaire.

Le cortège quitta la grande route et tourna à l’est, par un étroit sentier, vers les Eaux Salviennes. Sur les bruyères tombait le soleil rougeâtre. Près de la source, le centurion arrêta ses hommes. Le moment était venu.

Paul posa sur son épaule le voile de Plautilla, afin de s’en bander les yeux. Une dernière fois il leva ses regards pleins d’un calme