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Pompée, Cornelius Martialis, Flavius Nepos et Statius Domitius périrent, accusés de manquer de dévouement à César. Novius Priscus trouva la mort comme ami de Sénèque. Rufius Crispus se vit enlever le droit d’eau et de feu pour avoir, jadis, été le mari de Poppée. Le grand Thraséas fut perdu pour sa vertu. Beaucoup payèrent de leur vie leur origine nobiliaire, et Poppée elle-même fut victime d’un accès de fureur de César.

Le Sénat rampait devant l’effroyable tyran, lui érigeait des temples, faisait des vœux pour sa voix, couronnait ses statues et lui désignait des prêtres, comme à un dieu. Le cœur plein d’épouvante, les sénateurs se rendaient au Palatin, afin d’exalter le chant du Périodonicès et de délirer avec lui dans des orgies de chairs nues, de vin et de fleurs.

Pendant ce temps, dans les sillons, sur les champs, abreuvés de sang et de larmes, germaient, lentement, mais toujours plus fécondes, les semailles de Pierre.


Chapitre LXXIII.

VINICIUS À PÉTRONE :

« Même ici, carissime, nous apprenons de temps en temps ce qui se passe à Rome, et ce que nous ignorons, tes lettres nous en instruisent. Quand on jette une pierre dans l’eau, les cercles de l’onde vont s’élargissant de plus en plus : et l’un de ces cercles de folie et de mal est venu du Palatin jusqu’à nous. En faisant route pour la Grèce, César nous a envoyé Cannas, qui a dévalisé les villes et les temples pour remplir les caisses vides et construire à Rome, au prix de la sueur sanglante et des larmes, une « maison d’or ». Peut-être l’univers n’a-t-il encore jamais vu semblable maison, mais à coup sûr il n’a pas vu pareille iniquité. Tu connais d’ailleurs Cannas : Chilon lui ressemblait avant d’avoir, par sa mort, racheté sa vie. Mais dans les bourgs environnants, il n’a pas rencontré de résistance, peut-être parce qu’il n’y a ni temples, ni trésors.

« Tu me demandes si nous sommes en sûreté ? Je te répondrai seulement : on nous a oubliés. Tu peux t’en tenir là. Du péristyle où je me suis installé pour t’écrire, je vois notre baie paisible, et Ursus dans une barque, occupé à jeter sa nasse dans l’onde transparente. À côté de moi, ma femme dévide un peloton de laine pourpre, et dans les jardins, à l’ombre des amandiers, j’entends les chants de nos esclaves. Oh ! ce calme, carissime ! Quel oubli des terreurs et des souffrances passées ! Pourtant, ce ne sont point les Parques, comme tu dis, qui filent si doucement l’écheveau de notre existence. C’est Christ qui nous bénit, Lui, notre Dieu, notre Sauveur. Nous connaissons le chagrin et les