Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/460

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larmes, car notre vérité nous commande de pleurer sur l’infortune des autres. Mais ces larmes mêmes comportent une consolation que vous ignorez, vous autres. Un jour, quand se sera écoulé le temps qui nous fut assigné, nous retrouverons tous les êtres chers qui ont péri et qui, pour la doctrine divine, doivent périr encore. Pierre et Paul ne sont pas morts pour nous, mais ressuscités dans la gloire. Nos âmes les voient, et quand nos yeux versent des larmes, nos cœurs se réjouissent de leur joie. Oh oui ! très cher, nous sommes heureux d’un bonheur que rien ne peut détruire, car la mort, qui est pour vous la fin de tout, n’est pour nous que le passage à une paix plus grande, à un plus grand amour, à une plus grande félicité.

« Ainsi, dans la sérénité de nos cœurs, passent nos journées et nos mois. Nos serviteurs et nos esclaves croient au Christ et, comme Il nous en a donné le commandement, nous nous aimons les uns les autres. Souvent, au coucher du soleil, ou bien quand la lune commence à se baigner dans l’onde, nous causons, Lygie et moi, des temps anciens, qui aujourd’hui nous semblent un rêve. Et quand je songe combien cet être cher, que je presse chaque jour sur ma poitrine, était proche du supplice et de l’anéantissement, j’adore de toute mon âme Notre Seigneur. Lui seul pouvait la sauver de l’arène et me la rendre pour toujours.

« Ô Pétrone, tu as vu combien cette doctrine donnait d’endurance et de courage dans la souffrance, combien elle consolait dans le malheur. Viens chez nous, et tu discerneras quelle source de bonheur elle est dans la vie quotidienne. Les hommes, vois-tu, n’avaient point connu jusqu’ici un dieu qu’ils pussent aimer, et c’est pourquoi ils ne s’aimaient pas entre eux. De là venait tout leur malheur, car, de même que le soleil engendre la lumière, l’amour nous donne le bonheur. Ni les législateurs, ni les philosophes, n’ont enseigné cette vérité. Elle n’existait ni en Grèce, ni à Rome, et quand je dis à Rome, j’entends dans l’univers. La doctrine sèche et froide des stoïciens, que suivent les gens vertueux, trempe les cœurs ainsi que des glaives ; mais elle les glace au lieu de les rendre meilleurs.

« Mais je n’ai pas à te dire cela, à toi qui as étudié et compris mieux que moi. Toi aussi, tu as connu Paul de Tarse et tu as eu maintes fois de longs entretiens avec lui. Tu sais donc parfaitement que toutes les doctrines de vos philosophes et de vos rhéteurs, comparées à la vérité qu’il prêchait, ne sont que bulles de savon et paroles vides de sens. Te souviens-tu de sa question : « Et si César était chrétien ? Ne vous sentiriez-vous pas plus en sûreté, plus certains de posséder ce qui vous appartient, et sans crainte du lendemain ? » Tu me disais que notre foi était ennemie de la vie ; je te répondrai aujourd’hui que si, depuis le commencement de ma lettre, je ne répétais que ces mots : « Je suis heureux ! » cela ne suffirait pas à t’exprimer mon bonheur. Tu me diras que mon bonheur, c’est Lygie ! Oui, cher ! C’est parce que j’aime en elle l’âme immortelle et parce que tous deux nous nous aimons en Jésus ; et un pareil amour ne redoute ni séparation,