Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/46

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Mais es-tu certaine que la mort seule t’attende, sans être accompagnée du déshonneur ? Ignores-tu le sort de la fille de Séjan ? À peine était-ce une fillette. Or, pour ne pas violer la loi, qui défend de punir de mort les vierges, elle fut, sur l’ordre de Tibère, violée elle-même avant d’être mise à mort. Lygie, Lygie, n’irrite point César ! Quand sera venu l’instant décisif où tu seras forcée de choisir entre le déshonneur et la mort, tu feras alors ce que te prescrit ta Vérité ; mais, ne provoque pas ta perte et, pour une cause futile, ne va pas irriter un dieu qui est terrestre, mais impitoyable.

Acté, pleine d’une compassion profonde, parlait avec chaleur. Un peu myope, elle rapprochait son doux visage de celui de Lygie, pour mieux y suivre l’effet de ses paroles.

Lygie, avec une confiance enfantine, lui noua ses bras autour du cou et lui dit :

— Tu es si bonne, Acté !

Touchée de cet élan flatteur et confiant de Lygie, Acté la pressa contre sa poitrine et répondit :

— Mon bonheur est passé, passée aussi ma joie, mais je ne suis point méchante.

À grands pas précipités, elle se mit à arpenter la pièce, tout en se parlant à elle-même avec une sorte de désespoir.

— Non, il n’était pas méchant, lui non plus. Il se croyait même bon, il voulait être bon. Je le sais mieux que personne. Il n’est devenu autre que plus tard… quand il a cessé d’aimer. D’autres l’ont fait ce qu’il est, oui, d’autres, et Poppée.

Des larmes perlèrent à ses cils. Lygie l’observa quelque temps de ses yeux d’azur, et enfin lui demanda :

— Tu le plains donc, Acté ?

— Je le plains… — répondit la Grecque d’une voix sourde.

Puis, les mains crispées, le visage navré, elle reprit son va-et-vient.

Lygie continua à la questionner avec timidité :

— Tu l’aimes encore, Acté ?

— Je l’aime…

Et, un instant après, elle ajouta :

— Personne ne l’aime… que moi.

Il y eut un silence pendant lequel Acté s’efforça de maîtriser l’émotion provoquée en elle par ces réminiscences. Enfin son visage reprit son expression de douce mélancolie et elle dit :

— Parlons de toi, Lygie. Il ne faut même pas songer à s’insurger contre la volonté de César. Ce serait de la folie. D’ailleurs, tu peux te rassurer : je connais bien cette maison et je pense que, de la part de César, aucun danger ne te menace. Si Néron t’avait fait enlever pour son propre compte, on ne t’aurait pas amenée au