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mais même des prétoriens. Parmi les intimes de César, nul ne pouvait prévoir la façon dont, le cas échéant, il déciderait d’agir. Il semblait donc plus sage de l’éloigner de la ville par quelque subterfuge, et de le frapper en province.

Dans ce but, Pétrone fut invité à se rendre à Cumes avec les autres augustans. Il partit, bien qu’il soupçonnât quelque arrière-pensée. Peut-être voulait-il éviter d’opposer une résistance ouverte, peut-être désirait-il montrer une fois encore à César et aux augustans un visage joyeux et libre de tous soucis, et remporter sa dernière victoire sur Tigellin.

Cependant, celui-ci l’accusa aussitôt d’avoir été le complice du sénateur Scævinus, l’âme de la conspiration avortée. Ses gens restés à Rome furent emprisonnés, sa maison fut cernée. Pétrone, loin de s’en effrayer, ne montra aucun embarras et ce fut en souriant qu’il dit aux augustans reçus par lui dans sa somptueuse villa de Cumes :

— Barbe d’Airain n’aime pas les questions à brûle-pourpoint, et vous allez voir sa mine quand je lui demanderai si c’est lui qui a fait mettre en prison ma familia.

Et il leur annonça qu’avant de se mettre en voyage, il leur offrirait un festin. C’est tandis qu’on en faisait les préparatifs qu’il reçut la lettre de Vinicius.

Elle le laissa rêveur un moment. Mais bientôt son visage se rasséréna, et il répondit le soir même :


« Je me réjouis de votre bonheur et j’admire votre grand cœur, carissime : je ne me figurais pas que deux amoureux pussent se souvenir de qui que ce fût, et surtout d’un ami lointain. Non seulement vous ne m’oubliez pas, mais vous voulez encore m’entraîner en Sicile, afin de m’offrir une part de votre pain quotidien et de votre Christ qui, si généreusement, ainsi que tu le dis, vous comble de bonheur.

« S’il en est ainsi, vénérez-Le. Toutefois je ne te cacherai pas, très cher, qu’à mon avis Ursus a joué un certain rôle dans le sauvetage de Lygie, et que le peuple romain n’y a pas été étranger. Mais, du moment que tu l’attribues au Christ, je ne te contredirai point. Ne Lui ménagez point les offrandes. Prométhée, lui aussi, s’était sacrifié pour les hommes. Mais Prométhée, paraît-il, ne serait qu’une invention des poètes, tandis que des gens dignes de foi m’ont affirmé avoir vu le Christ de leurs yeux. Comme vous, je pense que, de tous les dieux, c’est encore lui le plus honnête.

« Je me rappelle fort bien la question de Paul de Tarse et je conviens que si Ahénobarbe vivait selon la doctrine du Christ, j’aurais peut-être le temps de me rendre auprès de vous en Sicile. Alors, au bord des sources, sous les ombrages, nous aurions de longs entretiens, — renouvelés des Grecs, — sur tous les dieux et sur toutes les vérités. Mais aujourd’hui, je dois