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plutôt non ! Ce sont simplement mes victoires qui touchent à leur fin. Ayant vécu comme j’ai voulu, je mourrai comme il me plaira.

« Ne prenez point cela trop à cœur. Aucun dieu ne m’a promis l’immortalité, et ce qui m’arrive n’est point chose imprévue. Toi, Vinicius, tu es dans l’erreur en affirmant que seul votre dieu apprend à mourir avec calme. Non ! notre monde savait, avant vous, que, la dernière coupe vidée, il était temps de disparaître, de rentrer dans l’ombre, et notre monde sait encore le faire en beauté. Platon affirme que la vertu est une musique, et la vie du sage une harmonie. Et ainsi, j’aurai vécu et je mourrai vertueux.

« Je voudrais prendre congé de ta divine épouse en la saluant des mêmes paroles que j’employai jadis, dans la maison des Aulus, « J’ai vu, au long de ma vie, des peuples sans nombre. Mais de femme qui t’égalât, je n’en vis jamais. »

« C’est pourquoi, si — contrairement à ce que professe Pyrrhon — quelque chose de notre âme subsiste après la mort, mon âme à moi, dans sa route vers les bords de l’océan, viendra se poser non loin de votre maison, sous les traits d’un papillon, ou peut-être, s’il faut en croire les Égyptiens, sous ceux d’un épervier. Quant à venir autrement, impossible.

« En attendant que, pour vous, la Sicile se métamorphose en un jardin des Hespérides, que les déesses des champs, des bois et des eaux sèment des fleurs sous vos pas ; et que, dans toutes les acanthes de vos péristyles, nichent de blanches colombes ! »


Chapitre LXXIV.

Pétrone ne se trompait point : Deux jours après, le jeune Nerva, qui lui était dévoué, lui envoya à Cumes, par un affranchi, les nouvelles sur tout ce qui se passait à la cour de César.

La perte de Pétrone était décidée. Un centurion devait venir, dans la soirée du lendemain, l’aviser de ne point quitter Cumes, et d’y attendre des ordres ultérieurs. Quelques jours après, un nouveau messager lui apporterait la sentence de mort.

Pétrone, avec un calme parfait, écouta l’affranchi. Puis il dit :

— Tu porteras à ton maître un de mes vases, qui te sera remis à ton départ. Dis-lui que je le remercie de toute mon âme, car ainsi je pourrai devancer la sentence.

Et il éclata de rire, comme un homme qui vient d’avoir une excellente idée et se réjouit de pouvoir la réaliser.

Le jour même, ses esclaves se répandirent en ville, pour inviter tous les augustans et toutes les augustanes présents à