Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/469

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— Viens avec moi.

Et il ajouta :

— Tu m’as vraiment aimé, ma divine !…

Elle tendit au médecin son bras rose. L’instant d’après, leur sang à tous deux se mariait et se confondait l’un dans l’autre.

Lui, fit signe aux musiciens, et de nouveau tintèrent les cithares et résonnèrent les voix. On chanta l’Harmodios. Puis vint l’hymne d’Anacréon, où le poète se plaint d’avoir trouvé sous sa porte l’enfant transi et éploré d’Aphrodite. Après qu’il l’eut réchauffé, qu’il eut séché ses ailes, l’ingrat lui avait percé le cœur d’une de ses flèches. Et depuis lors, le calme avait fui son esprit…

Se soutenant mutuellement, divinement beaux, souriant et pâlissant, tous deux écoutaient.

L’hymne achevé, Pétrone fit offrir à nouveau les vins et les mets. Puis il se mit à deviser avec ses voisins de ces mille riens puérils et charmants, en usage dans les festins. Enfin, il appela le Grec et se fit attacher l’artère, disant qu’il se sentait pris de sommeil et voulait encore s’abandonner à Hypnos, avant que Thanatos l’endormît pour jamais.

Il s’assoupit. Quand il se réveilla, la tête d’Eunice reposait sur sa poitrine, telle une fleur blanche. Il la déposa sur le coussin pour la contempler encore. Et, de nouveau, il se fit ouvrir les veines.

Les chanteurs entonnèrent un autre hymne d’Anacréon, tandis que les cithares accompagnaient en sourdine, afin de ne point couvrir les paroles. Pétrone pâlissait de plus en plus. Quand se fut évanouie la dernière harmonie, il se tourna vers les invités :

— Amis, convenez que périt avec nous…

Il ne put finir. D’un geste suprême, son bras enlaça Eunice, et sa tête roula sur l’oreiller. Il était mort.

Mais les convives, devant ces deux formes blanches, semblables à deux statues idéales, sentirent que périssait l’unique apanage du monde romain : sa poésie et sa beauté.