Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/473

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des prétoriens, sur un cheval tout couvert d’écume, un courrier porteur de la nouvelle que, dans la ville même, les soldats avaient levé l’étendard de la révolte et proclamé Galba empereur.

César dormait. Réveillé en sursaut, il appela les hommes de garde à sa porte. Mais le palais était déjà vide. Il ne restait que des esclaves qui, dans les recoins éloignés, raflaient prestement tout ce qui leur tombait sous la main. En l’apercevant, ils s’enfuirent. Lui, errait seul par tout le palais, emplissant la nuit de clameurs d’épouvante et de désespoir.

Enfin, ses affranchis Phaon, Spirus et Épaphrodite arrivèrent à son secours. Ils voulaient l’obliger à fuir, car il n’y avait plus un instant à perdre. Il hésitait encore. Si, vêtu de deuil, il haranguait le Sénat, celui-ci pourrait-il résister à son éloquence et à ses larmes ? S’il usait de tout son art, de toute son onction, de toute son habileté d’acteur, n’était-il pas assuré de le convaincre ? Ne lui donnerait-on pas, au moins, le gouvernement de l’Égypte ?

Habitués à s’aplatir devant lui, ils n’osaient le contredire ouvertement ; mais ils l’avertirent qu’avant d’avoir atteint le Forum, il serait mis en pièces par le peuple, et ils menacèrent de l’abandonner s’il ne montait immédiatement à cheval. Phaon lui offrit asile dans sa villa, située au-delà de la Porte Nomentane.

La tête couverte de leurs manteaux, ils galopèrent vers les portes de la ville. La nuit pâlissait. Dans les rues, un mouvement insolite indiquait le désarroi de l’heure. Un à un, ou par petits groupes, les soldats se répandaient par la ville. À proximité du camp, la vue d’un cadavre fit faire un écart au cheval de César. Le manteau glissa de la tête du cavalier, un soldat qui passait le reconnut, et, troublé par cette rencontre inattendue, il fit le salut militaire. En longeant le camp des prétoriens, ils entendirent un tonnerre d’acclamations en l’honneur de Galba. Alors seulement Néron comprit que l’heure de sa fin était proche. Il fut saisi d’épouvante et de remords. Il disait voir devant lui des ténèbres sous la forme d’une nuée sombre d’où émergeaient vers lui les visages de sa mère, de sa femme et de son frère. Ses dents claquaient ; mais son âme de comédien trouvait un certain charme dans cette horreur. Être le maître tout-puissant du monde entier, et perdre tout, lui apparaissait comme le comble du tragique. Et, fidèle à lui-même, il jouait jusqu’au bout le premier rôle. Une ardeur de déclamation s’empara de lui, en même temps qu’un désir éperdu que les assistants s’en souvinssent pour la postérité. Par instants, il disait vouloir mourir et demandait Spiculus, le gladiateur le plus expert en l’art de tuer. Par instants, il déclamait : « Ma mère, mon épouse, mon frère me convoquent ! » Des lueurs d’espoir, chimériques et puériles, s’