Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/472

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que l’annonce d’une série de représentations et de spectacles prochains suffirait à écarter le danger. Constatant qu’indifférent à la lutte et aux moyens de s’assurer l’armée, il n’avait souci que de chercher des paroles capables d’exprimer le danger de l’orage qui grondait, ses intimes commencèrent à perdre la tête. D’aucuns opinaient qu’il essayait, par ses citations, de s’étourdir lui-même et d’étourdir ceux qui voyaient le danger. Ses actes devinrent fiévreux, et mille projets contradictoires se heurtaient dans son cerveau. Parfois, il se levait brusquement pour courir au-devant du péril, faisait emballer les cithares et les luths, formait avec ses jeunes esclaves des bataillons d’amazones, et donnait l’ordre de rapatrier les légions d’Orient. D’autres fois, au contraire, il croyait pouvoir apaiser la révolte des légions gauloises, non par ses armées, mais par son chant. Et il souriait à la pensée du spectacle qui aurait lieu après que sa voix aurait calmé les soldats. Les légionnaires l’entoureraient, les yeux pleins de larmes, et entonneraient un epinicion qui marquerait le commencement de l’âge d’or pour Rome et pour César. Ou bien, il lui fallait du sang ; puis, il déclarait se contenter, le cas échéant, du gouvernement de l’Égypte. Il se réclamait des devins qui lui avaient prédit l’empire de Jérusalem, ou enfin, il larmoyait à la pensée de s’en aller, chanteur ambulant, gagner son pain quotidien. Et les villes et les nations honoreraient alors en lui, non point le souverain de la terre, mais un barde tel que jamais l’humanité n’en avait entendu.

Ainsi il s’agitait, délirait, chantait, jouait, modifiait ses plans, ses citations, transformait sa vie et celle de l’univers en un cauchemar à la fois grotesque, fantastique et effroyable, en une tragi-comédie faite de sentences ampoulées, de lamentables vers, de gémissements, de larmes et de sang, pendant que s’amoncelait, à l’Ouest, le nuage, toujours plus dense, toujours plus opaque. La mesure était comble ; la farce allait finir.

En apprenant le soulèvement de Galba et l’adhésion de l’Espagne, il eut un accès de fureur : il brisa les coupes, renversa la table du festin, et donna des ordres que ni Hélius, ni Tigellin lui-même n’osèrent exécuter. Égorger tous les Gaulois habitant Rome, incendier encore une fois la ville, lâcher les fauves, et transporter la capitale à Alexandrie, lui parut une œuvre grandiose, stupéfiante et aisée. Mais les jours de sa toute-puissance n’étaient plus, et déjà les complices de ses forfaits eux-mêmes le tenaient pour fou.

La mort de Vindex et les dissensions des armées rebelles semblèrent, une fois encore, faire pencher la balance en sa faveur. Déjà de nouveaux festins, de nouveaux triomphes et de nouvelles exécutions étaient annoncés. Mais, une nuit, arriva du camp