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des Parthes, mais le trait de l’Amour m’a frappé… d’une façon imprévue, à quelques stades des portes de la ville.

— Par les blancs genoux des Grâces ! tu me raconteras la chose à loisir ! — s’écria Pétrone.

— Je venais précisément te demander conseil, — fit Marcus.

À ce moment parurent les epilatores, qui s’occupèrent de Pétrone. Sur l’invitation de celui-ci, Marcus se dépouilla de sa tunique et entra dans un bassin d’eau tiède.

— Ah ! je ne te demande pas si ton amour est partagé ! — reprit Pétrone en contemplant Vinicius dont le corps juvénile semblait sculpté dans du marbre ; — si Lysippe t’avait vu, tu ornerais, sous les traits d’un jeune Hercule, la porte qui mène au Palatin.

Vinicius sourit, flatté, et se plongea dans la piscine en éclaboussant largement d’eau tiède une mosaïque qui représentait Héra priant le Sommeil d’endormir Zeus. Pétrone le regardait de l’œil connaisseur d’un artiste.

Comme, son bain terminé, le jeune homme se remettait à son tour aux epilatores, le lector entra avec, sur le ventre, un étui de bronze plein de rouleaux de papyrus.

— Veux-tu écouter cela ? — demanda Pétrone.

— Volontiers, si ce sont tes œuvres, — répondit Vinicius. — Autrement, je préfère causer. Les poètes vous arrêtent aujourd’hui à tous les coins de rue.

— Certes oui ! On ne peut passer devant une basilique, devant des thermes, une bibliothèque ou une librairie, sans voir un poète gesticulant comme un singe. Quand Agrippa est revenu d’Orient, il les a pris pour des fous. Mais c’est de notre temps. César écrit des vers, et tout le monde suit son exemple. Seulement on n’a pas le droit d’écrire de meilleurs vers que ceux de César, et c’est pourquoi je crains un peu pour Lucain… Moi, j’écris de la prose dont je ne régale personne, pas même moi. Ce que le lector avait à nous lire, c’est les codicilles de ce pauvre Fabricius Veiento.

— Pourquoi « ce pauvre » ?

— Parce qu’on l’a invité à s’en aller jouer Ulysse et à ne pas réintégrer ses pénates jusqu’à nouvel ordre. Cette Odyssée lui sera d’autant plus légère que sa femme n’est pas une Pénélope. Inutile, n’est-ce pas ? de te dire qu’on l’a traité assez sottement. Au surplus, personne ici ne voit les choses que superficiellement. Ce livre est assez médiocre et ennuyeux, et il n’a eu de succès qu’une fois son auteur exilé. Aujourd’hui, on entend crier de tous côtés : « Scandale ! scandale ! » Il est possible que Veiento ait imaginé certaines choses, mais moi qui connais la ville, nos patres et nos femmes, je t’assure qu’il n’y a là qu’une bien pâle image