Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/54

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se coucher auprès de la table. Mais jusqu’alors, Lygie avait occupé une place entre Pomponia et le petit Aulus, tandis qu’à présent il était là, lui, jeune, athlétique, amoureux, et tout enflammé de désir. Elle-même, pénétrée par l’ardeur de la passion qui se dégageait de lui, en éprouvait à la fois honte et plaisir. Elle se laissait aller à une douce langueur, faiblissait et s’oubliait, comme envahie par le sommeil.

Mais le voisinage de Lygie avait aussi son action sur Vinicius. Son visage était pâle, ses narines dilatées comme celles d’un coursier d’Arabie. Sans nul doute, son cœur sursautait sous sa tunique pourpre, car son souffle était haletant et sa voix saccadée. Jamais il n’avait été aussi près d’elle. Ses idées se brouillaient et dans ses veines coulait du feu, qu’il essayait vainement de noyer dans du vin.

Ce qui l’enivrait de plus en plus, ce n’était pas le vin, mais ce merveilleux visage, ces bras nus, cette gorge virginale qui soulevait la tunique d’or, et ce corps qu’il devinait sous les plis du neigeux peplum. Soudain, il prit la main de Lygie au-dessus du poignet, comme déjà il avait fait dans la maison d’Aulus, et, l’attirant vers lui, il lui murmura, les lèvres frémissantes :

— Je t’aime, Callina, ma divine !

— Marcus, laisse-moi, — balbutia Lygie.

Mais lui, les yeux voilés de passion :

— Ma divine, aime-moi !…

À cette minute s’éleva la voix d’Acté :

— César vous regarde.

Une brusque colère contre César et contre Acté s’empara de Vinicius. Ces seuls mots avaient rompu le charme. En un tel moment, même une voix aimée eût déplu au jeune homme ; et il jugea qu’Acté avait volontairement interrompu l’entretien.

Levant la tête et toisant la jeune affranchie par-dessus les épaules de Lygie, il lui dit avec colère :

— Ils ne sont plus, Acté, les temps où, dans les festins, tu te couchais aux côtés de César, et l’on prétend que tu es en voie de devenir aveugle : alors, comment peux-tu voir César ?

Acté lui répondit d’une voix attristée :

— Je l’aperçois, pourtant. Lui aussi a la vue basse, mais il vous observe à travers son émeraude.

Chacun des actes de Néron inspirait l’inquiétude même à son plus proche entourage ; aussi Vinicius s’inquiéta-t-il ; il se maîtrisa, et se mit à suivre à la dérobée les mouvements de César. Lygie qui, au début du festin, ne l’avait vu qu’à travers un brouillard, et ensuite, absorbée dans son entretien avec Vinicius, n’avait pas songé à le regarder, tourna vers lui des yeux effrayés et en même temps curieux.