Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/53

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et resterait près d’elle. Il eût préféré perdre la vue que de ne pas la voir, sacrifier sa vie que de l’abandonner. Elle était devenue son âme, il veillerait sur elle comme sur son âme à lui. Il lui élèverait, comme à une divinité, un autel dans sa maison ; il lui apporterait, en offrande, de la myrrhe et de l’aloès et, au printemps, des primevères et des fleurs de pommier… Et, si la maison de César lui faisait peur, il pouvait lui affirmer qu’elle n’y resterait pas.

Bien qu’il parlât de façon évasive, ou même qu’il rusât par instants, sa voix vibrait cependant de l’accent de la vérité, car ses sentiments pour elle étaient vrais. Une sincère compassion s’était emparée de lui et les paroles de Lygie pénétraient jusqu’à son cœur. Aussi, comme elle lui exprimait sa gratitude, l’assurait que Pomponia l’aimerait pour sa bonté et qu’elle-même lui serait reconnaissante jusqu’à son dernier souffle, il en fut plus profondément remué encore, et il lui sembla que jamais il ne se résignerait à contrarier la volonté de la jeune fille. Son cœur se fondait dans la félicité. La grâce de Lygie exacerbait sa passion et, en même temps, elle lui devenait plus chère que tout au monde, et il se sentait capable de l’adorer comme une vraie divinité. Il éprouvait un irrésistible besoin de lui parler de sa beauté, de son amour. Et, comme le brouhaha du festin redoublait, il se pencha vers elle pour lui murmurer de bonnes et douces paroles venues du fond de l’âme, harmonieuses comme une musique, enivrantes comme le vin.

Elle, s’enivrait de ses paroles. Environnée de tous ces étrangers, elle le sentait, lui, toujours plus proche, plus cher, plus sûr, et si dévoué ! Il la rassura, promit de la tirer de la maison de César, de ne pas l’abandonner, mais de la servir. Jadis, chez les Aulus, il lui avait parlé de l’amour, comme du bonheur qu’il peut donner en général ; à présent, il lui disait sans détours qu’il l’aimait, qu’elle lui était plus séduisante et plus précieuse que tout au monde. Pour la première fois, elle entendait de telles paroles sortir de la bouche d’un homme, et à mesure qu’elle les écoutait, attentive, quelque chose s’éveillait en elle, tout son être était rempli d’une félicité inconnue, une immense joie se confondait en elle avec une incommensurable angoisse. Ses joues s’enflammèrent, son cœur battit à coups précipités, ses lèvres étonnées s’entr’ouvrirent. Elle avait peur d’écouter de pareils aveux et plus peur encore d’en perdre une syllabe. Par instants, elle baissait les yeux, pour relever bientôt sur Vinicius son regard lumineux, à la fois timide et interrogateur, comme pour lui dire : « Parle encore ! » Le bruit des conversations, la musique, l’arôme des fleurs et le parfum des encens l’enivrèrent de nouveau. Auprès d’elle était étendu Vinicius, la coutume étant, à Rome, de