Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/59

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

du Christ, incarnait le mal et le crime, la jeune fille songea que seuls les anges et les esprits célestes pouvaient être aussi beaux. Elle ne pouvait détacher d’elle ses yeux et, involontairement, elle s’écria :

— Ah ! Marcus, est-ce possible ?…

Lui, animé par le vin et mécontent que l’attention de sa voisine se détournât constamment de lui et de ce qu’il disait, répondit :

— Oui, elle est belle : mais toi, tu l’es cent fois plus. Tu ignores ta beauté, sans quoi tu deviendrais, comme Narcisse, amoureuse de toi-même… Elle se baigne dans du lait d’ânesse : Vénus a dû te baigner, toi, dans son propre lait. Tu ne te connais pas, ocelle mi !… Ne la regarde pas ! Tourne vers moi tes yeux, ocelle mi !… Touche de tes lèvres le bord de cette coupe, pour que j’applique les miennes au même endroit.

Et il s’approchait toujours plus, tandis que Lygie se reculait vers Acté. À ce moment, le silence se fit, car César venait de se lever. Le chanteur Diodore lui mit dans la main un luth delta, tandis que, pour l’accompagner, le chanteur Terpnos se munissait d’un nablium. Néron, son delta appuyé sur la table, leva les yeux vers le ciel. Le silence qui planait dans le triclinium ne fut plus troublé que par le bruit soyeux des roses qui tombaient de la voûte.

Il chanta, ou plutôt il déclama, d’une voix chantante et rythmique, avec l’accompagnement des deux luths, son hymne à Vénus. Sa voix, bien que voilée, et ses vers n’étaient pas sans mérite. Et de nouveau, le remords s’empara de la pauvre Lygie : cet hymne à la gloire de l’impure et païenne Vénus ne lui semblait que trop beau, et César lui-même, couronné de lauriers, les yeux au ciel, lui apparaissait plus majestueux, moins terrifiant et moins repoussant qu’au début du festin.

Un tonnerre d’applaudissements retentit. « Ô voix céleste ! » s’exclamait-on de partout. Des femmes qui, pendant le chant, avaient levé les bras, restaient ainsi, en extase, après qu’il eut cessé. D’autres essuyaient leurs yeux en larmes. Dans la salle entière, ce fut comme un bourdonnement de ruche. Poppée, inclinant sa tête dorée, colla ses lèvres sur la main de Néron, qu’elle tint longtemps ainsi, sans parler. Pythagore, un jeune Grec d’une merveilleuse beauté que plus tard, à demi fou, César devait épouser en grande cérémonie par-devant les flamines, s’agenouilla à ses pieds.

Mais Néron, sensible avant tout à la louange de Pétrone, regardait avec attention de son côté. Et Pétrone lui dit :

— Pour ce qui est de la musique, Orphée doit être aussi jaune d’envie que Lucain ici présent ; quant aux vers, je les eusse préférés