Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/71

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

N’avait-elle pas dit elle-même que son tour à lui était venu… Il s’efforcerait, autant que possible, de… Mais si, involontairement ?… Il fallait pourtant qu’il la reprit ! Enfin, s’il arrivait malheur, il ferait tant pénitence, il implorerait tellement l’innocent Agneau, que l’Agneau crucifié aurait pitié de lui, pauvre homme… Il ne voudrait pas offenser l’Agneau ! Seulement il avait la main lourde…

L’expression de son visage s’adoucit, et, pour cacher son émotion, il salua sa reine et dit :

— Je m’en vais donc chez le saint évêque.

Acté noua ses bras autour du cou de Lygie et fondit en larmes… Une fois encore, elle avait compris qu’il était un monde où même la souffrance était plus féconde en bonheur que tous ces excès et ces voluptés dans la maison de César. Une fois encore, pour elle, s’était entrebâillée une porte sur la lumière. Mais, en même temps, elle se sentait indigne d’en franchir le seuil.


Chapitre IX.

Lygie regrettait Pomponia Græcina, qu’elle aimait de toute son âme, elle regrettait toute la maison d’Aulus ; pourtant, son désespoir s’était apaisé. Elle éprouvait même une douce satisfaction à la pensée qu’elle allait sacrifier à sa Vérité le bien-être, pour se condamner à une vie errante et incertaine. Peut-être y avait-il là aussi quelque enfantine curiosité de cette existence dans des régions lointaines, parmi les Barbares et les fauves, mais plus encore la foi profonde qu’en agissant ainsi elle accomplissait le commandement du « Divin Maître », qui veillerait désormais sur elle, son enfant soumise et dévouée. En ce cas quel mal pouvait en résulter pour elle ? Si des souffrances l’assaillaient, elle les supporterait en Son nom. Si la mort l’emportait brusquement, il la prendrait auprès de Lui et un jour, quand mourrait Pomponia, elles seraient réunies pour l’éternité. Souvent, chez les Aulus, elle avait ressassé dans son cerveau d’enfant la pensée que, chrétienne, elle ne pouvait rien sacrifier pour ce Crucifié, au souvenir de qui Ursus lui-même s’attendrissait tant. Et voici que le moment était venu ; Lygie se sentait presque heureuse, et elle se mit à entretenir Acté de ce bonheur. Mais la jeune Grecque ne pouvait la comprendre : tout abandonner, la maison, le confort, la ville, les jardins, les temples, les portiques, tout ce qui est beau, quitter ce pays ensoleillé, ses proches, et