Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/73

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« Elle dort, elle peut dormir ! — se dit Acté. — C’est encore une enfant. »

Néanmoins, un instant après, elle songea que cette enfant aimait mieux fuir que devenir la maîtresse de Vinicius, préférait la misère à la honte, la vie errante à la splendide maison des Carines, aux parures, aux bijoux, aux festins, aux mélodies des cithares et des luths.

« Pourquoi ? »

Acté observait la dormeuse, comme pour lire la réponse sur son visage ensommeillé. Et quand elle eut contemplé son front pur, l’arc fin de ses sourcils, ses cils sombres, sa bouche entr’ouverte, sa poitrine virginale soulevée en un rythme paisible, elle songea :

« Combien elle diffère de moi ! »

Lygie lui semblait une merveille, une apparition divine, un rêve de Dieu, et cent fois plus belle que toutes les fleurs du jardin de César, que tous les chefs-d’œuvre de son palais.

Mais, dans le cœur de la Grecque il n’y avait pas de place pour l’envie. Au contraire, à la pensée des dangers qui menaçaient la jeune fille, elle fut prise d’une pitié profonde. Une sorte de sentiment maternel s’éveilla en elle. Lygie ne lui parut pas seulement belle comme un songe délicieux, mais aussi infiniment chère à son cœur, et, approchant ses lèvres de la sombre chevelure de Lygie, elle la couvrit de baisers.

Lygie dormait aussi paisiblement qu’elle l’eût fait à la maison, sous la garde de Pomponia Græcina. Et elle dormit longtemps. L’heure de midi était déjà passée, quand elle rouvrit ses yeux bleus : elle promena dans le cubiculum un regard étonné.

Visiblement, elle parut surprise de ne pas se trouver chez les Aulus.

— Est-ce toi, Acté ? — demanda-t-elle enfin, en distinguant dans l’ombre le visage de la jeune femme.

— C’est moi, Lygie.

— Est-ce le soir déjà ?

— Non, mon enfant, mais il est plus de midi.

— Et Ursus est-il de retour ?

— Ursus n’a pas promis qu’il reviendrait ; il a dit qu’avec les chrétiens il guetterait ce soir la litière.

— C’est vrai.

Elles quittèrent le cubiculum, et Acté mena Lygie prendre un bain. Ensuite, après avoir déjeuné, elles se rendirent dans les jardins du palais, où aucune rencontre n’était à craindre, car César et ses familiers dormaient encore. Lygie voyait pour la première fois ces magnifiques jardins plantés de cyprès, de pins, de chênes, d’oliviers et de myrtes, où s’érigeait tout un peuple de blanches