Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/76

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et perdre par quelque rivale heureuse, comme elle-même avait supplanté et perdu Octavie. Aussi, toute jolie femme qui paraissait à la cour provoquait-elle sa défiance. D’un coup d’œil expert, elle avait jugé combien étaient parfaites les formes de Lygie et apprécié chacun des traits de son visage. Et elle eut peur. « C’est une nymphe, tout simplement, — se dit-elle. — Vénus lui a donné le jour. » Soudain, une pensée lui vint, que jamais n’avait suggérée à son esprit la beauté d’aucune autre femme : « Je suis bien plus âgée. » L’amour-propre et la crainte s’éveillèrent en elle : « Peut-être que Néron ne l’a pas encore remarquée. Mais qu’arriverait-il s’il la voyait en plein jour, si merveilleuse à la clarté du soleil ?… Et puis, ce n’est pas une esclave : c’est une fille de roi, bien que d’origine barbare, mais fille de roi quand même !… Dieux immortels ! elle est aussi belle que moi, et plus jeune ! » Et la ride se creusa plus profondément encore entre les sourcils de Poppée, tandis que, sous leurs cils dorés, ses yeux s’allumaient d’un froid éclair.

Se tournant vers Lygie, elle lui demanda avec un calme apparent.

— Tu as parlé à César ?

— Non, Augusta.

— Pourquoi préfères-tu être ici que chez les Aulus ?

— Je ne préfère pas, domina. Pétrone a poussé César à me reprendre à Pomponia. Je suis ici contre mon gré, ô domina !…

— Et ton désir est de retourner auprès de Pomponia ?

À cette question, posée d’une voix plus douce et plus bienveillante, Lygie eut une lueur d’espoir.

— Domina, — dit-elle, les mains tendues, — César m’a promise, comme une esclave, à Vinicius. Mais tu intercéderas pour moi et tu me rendras à Pomponia.

— Ainsi, Pétrone a poussé César à te reprendre à Aulus pour te livrer à Vinicius ?

— Oui, domina. Vinicius a dit qu’il m’enverrait chercher aujourd’hui même. Mais toi, magnanime, tu auras pitié de moi.

Ce disant, elle se baissa, saisit le bord de la robe de Poppée et, le cœur palpitant, attendit. Poppée la regarda quelques instants avec un sourire mauvais et dit :

— Alors, je te promets qu’aujourd’hui même tu seras l’esclave de Vinicius.

Sur ces mots, elle s’éloigna, comme une vision splendide, mais fatale. Aux oreilles de Lygie et d’Acté parvinrent les cris de l’enfant qui, sans qu’on sût pourquoi, s’était mis à pleurer. Les yeux de Lygie étaient pleins de larmes. Elle prit la main d’Acté et lui dit :