Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/87

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Elle le regarda presque sévèrement, de ses yeux songeurs.

— Je savais que jamais elle ne consentirait à être ta concubine.

— Et toi, qu’as-tu été toute ta vie ?

— Moi, j’avais été esclave.

Mais Vinicius continuait d’exhaler sa fureur : César lui avait donné Lygie, il n’avait donc pas à se préoccuper si, auparavant, elle était esclave ou non ; il la découvrirait, fût-elle cachée sous terre et ferait d’elle ce que bon lui semblerait. Oui ! elle serait sa concubine. Il la ferait fouetter autant qu’il lui plairait. Quand il aurait assez d’elle, il la donnerait au dernier de ses esclaves, ou bien il l’attellerait à un moulin à bras dans une de ses terres d’Afrique. À présent, il allait la rechercher, mais uniquement pour la châtier, l’écraser, la dompter.

Il s’affolait, avait tellement perdu toute mesure qu’Acté se rendait compte de l’exagération de ses menaces. Il était certainement incapable de les mettre à exécution et ne parlait que sous l’empire de la colère et du désespoir. Acté eût même pris ses souffrances en pitié, si de tels emportements n’eussent lassé sa patience, et finalement, elle lui demanda ce qu’il voulait d’elle.

Vinicius ne sut d’abord que répondre. Il était venu parce que tel était son désir, et parce qu’il croyait tirer d’elle quelque renseignement ; mais, en réalité, il se rendait chez César et c’est parce qu’il en avait été empêché qu’il était entré chez elle. Lygie, en fuyant, s’était insurgée contre la volonté de César. Il supplierait Néron de la faire rechercher par toute la ville, par tout l’empire, dût-on y employer toutes les légions et fouiller toutes les maisons, une à une. Pétrone appuierait sa requête et les recherches commenceraient dès aujourd’hui.

Acté lui répondit :

— Prends bien garde que, le jour où César l’aurait retrouvée, elle soit à jamais perdue pour toi.

Vinicius fronça les sourcils.

— Que veux-tu dire ?

— Écoute, Marcus ! Hier, dans les jardins du palais, Lygie et moi avons rencontré Poppée, avec la petite Augusta portée par la négresse Lilith. Le soir, l’enfant est tombée malade, et Lilith prétend que l’étrangère lui a jeté un sort. Si l’enfant recouvre la santé, ils oublieront ; autrement, Poppée la première accusera Lygie de sorcellerie, et, si on la retrouve, tout salut sera perdu pour elle.

Après un silence, Vinicius opina :

— Peut-être, en effet, a-t-elle jeté un sort à l’enfant… Elle m’a bien ensorcelé, moi.

— Lilith assure qu’aussitôt nous avoir dépassées, l’enfant s’