Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/94

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les plus infâmes. Or donc, Pomponia ne peut être chrétienne ; en effet, sa vertu est indiscutable, et une ennemie du genre humain ne traiterait point ses esclaves avec cette mansuétude dont elle use à leur égard.

— Ils ne sont, nulle part, aussi bien traités que chez les Aulus, — confirma Vinicius.

— Tu vois. Pomponia m’a parlé d’un dieu qui est un, tout-puissant et miséricordieux. Qu’a-t-elle fait de tous les autres ? c’est son affaire. Toujours est-il que son Logos ne serait qu’une piètre puissance s’il n’avait que deux fidèles, Pomponia et Lygie, avec leur Ursus par-dessus le marché. Les adeptes sont à coup sûr plus nombreux, et c’est eux qui ont prêté secours à Lygie.

— Leur religion commande le pardon, — dit Vinicius. — J’ai rencontré Pomponia chez Acté, et elle m’a dit : « Que Dieu te pardonne le tort que tu nous as fait, à Lygie et à nous. »

— Leur dieu, il faut croire, est un curator bien débonnaire. Soit ! qu’il te pardonne, et pour te le prouver, qu’il te rende la fillette.

— Je lui offrirais demain une hécatombe, s’il me rendait Lygie. Je ne veux ni manger, ni prendre de bain, ni dormir. Je vais mettre un manteau sombre et rôder par la ville. Peut-être qu’ainsi déguisé, je la retrouverai. Je suis malade !

Pétrone le regarda avec une certaine compassion. En effet, Vinicius avait les yeux battus et ses prunelles brillaient de fièvre ; une barbe de la veille ombrait d’une bande bleuâtre son menton saillant ; ses cheveux étaient en désordre ; réellement il avait mauvaise mine. Iras et Eunice, elles aussi, l’observaient d’un regard apitoyé. Mais, ainsi que Pétrone, Vinicius faisait moins attention à elles qu’à des petits chiens qui se fussent ébattus autour de lui.

— Tu as la fièvre, — lui dit Pétrone.

— Oui.

— Alors, écoute… J’ignore quelle serait la prescription d’un médecin, mais je sais ce que je ferais à ta place. En attendant de retrouver Lygie, je chercherais auprès de quelque autre une compensation à sa perte. J’ai vu de beaux corps dans ta maison… Laisse-moi parler… Oui, je sais ce qu’est l’amour et qu’au désir qu’on a d’une femme, une autre ne saurait suppléer. N’empêche qu’une belle esclave puisse donner une distraction passagère…

— Je ne veux pas, — protesta Vinicius.

Alors Pétrone, qui avait pour lui une réelle affection et qui désirait atténuer sa souffrance, chercha quelque moyen d’y réussir.

— Peut-être les tiennes n’ont-elles plus pour toi le charme de la