Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/95

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nouveauté, — dit-il. — Mais… (il détailla tour à tour Eunice et Iras, et posa enfin la main sur la hanche de la blonde Grecque), regarde un peu cette Charite. Il y a quelques jours, le jeune Fonteius Capiton m’a offert d’elle trois splendides éphèbes de Clazomène, car Scopas lui-même n’a jamais créé de formes si parfaites. Il est incompréhensible que moi-même je sois resté jusqu’ici indifférent à ses charmes : ce n’est pourtant pas de penser à Chrysothémis qui m’aurait retenu ! Je te la donne, prends-la !

À ces mots, Eunice devint toute pâle, et fixant sur Vinicius ses yeux épouvantés, elle attendit sa réponse.

Mais il se leva précipitamment, se serra les tempes avec les mains, et se mit à parler très vite, comme un homme qui souffre et qu’on obsède.

— Non ! non !… Je ne veux pas d’elle, je ne veux de personne… Je te remercie, mais je n’en veux pas ! Je vais chercher Lygie par la ville. Fais-moi donner un manteau gaulois à capuchon. J’irai de l’autre côté du Tibre… Si au moins je pouvais découvrir Ursus !…

Et il sortit brusquement. Pétrone, voyant que réellement il ne pouvait tenir en place, n’essaya pas de le retenir. Toutefois, prenant son refus pour une répulsion momentanée envers toute autre femme que Lygie, et ne voulant pas que sa générosité fût en pure perte, il se tourna vers l’esclave :

— Eunice, — dit-il, — prends un bain, oins ton corps de parfums, pare-toi et va chez Vinicius.

Mais elle tomba à genoux, joignit les mains et l’adjura de ne point l’éloigner de la maison. Elle n’irait pas chez Vinicius ; plutôt être porteuse de bois pour l’hypocaustum, que la première des servantes là-bas ! Elle ne voulait pas ! Elle ne pouvait pas ! Elle le conjurait d’avoir pitié d’elle. Qu’il la fît fouetter chaque jour, mais qu’il ne la renvoyât point.

Telle une feuille frissonnante, Eunice tremblait à la fois de peur et d’extase, et tendait ses bras vers Pétrone, qui l’écoutait avec surprise. Une esclave osait répondre à un ordre par des supplications, elle osait dire « Je ne veux pas, je ne peux pas ! » C’était chose tellement inouïe à Rome, qu’il n’en pouvait croire ses oreilles. Enfin, il fronça les sourcils. Il était trop raffiné pour s’abaisser jusqu’à la cruauté. Ses esclaves étaient plus libres qu’ailleurs, surtout sur le chapitre du libertinage. On ne leur demandait qu’un service irréprochable et de révérer la volonté du maître à l’égal de celle des dieux. Toutefois, quand ils manquaient à l’un ou à l’autre de ces devoirs, Pétrone n’hésitait pas un instant à les soumettre aux châtiments en usage. De plus, il n’admettait ni contradiction, ni rien qui pût troubler sa tranquillité.