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Page:Sieyès-Qu'est ce que le tiers état-1888.djvu/102

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d’état, qu’on les compare à la démarche également authentique des princes contre le peuple, qui se gardait bien de les attaquer, quelle modestie, quelle mesure dans les premières ! Quelle violence, quelle profonde iniquité dans la seconde !

Inutilement, le tiers état attendait-il du concours de toutes les classes, la restitution de ses droits politiques et la plénitude de ses droits civils ; la peur de voir réformer les abus inspire aux deux premiers ordres plus d’alarmes qu’ils ne sentent de désirs pour la liberté. Entre elle et quelques privilèges odieux, ils ont fait choix de ceux-ci. Leur âme s’est identifiée avec les faveurs de la servitude. Ils redoutent aujourd’hui ces états généraux qu’ils invoquaient naguère avec tant d’ardeur. Tout est bien pour eux ; ils ne se plaignent plus que de l’esprit d’innovation ; ils ne manquent plus de rien ; la crainte leur a donné une constitution. Le tiers état doit s’apercevoir, au mouvement des esprits et des affaires, qu’il ne peut rien espérer que de ses lumières et de son courage. La raison et la justice sont pour lui ; il faut au moins qu’il s’en assure toute la force. Non, il n’est plus temps de travailler à la conciliation des partis. Quel accord peut-on espérer entre l’énergie de l’opprimé et la rage des oppresseurs ?

Ils ont osé prononcer le mot scission. Ils ont menacé le roi et le peuple. Eh ! Grand dieu ! Qu’il serait heureux pour la nation qu’elle fût faite à jamais, cette scission si désirable ! Combien il serait aisé de se passer des privilégiés ! Combien il sera difficile de les amener à être citoyens !

Il est des questions que ne devraient jamais agiter ceux qui craignent la justice ; à coup sûr, elles servent à éclairer le public, et il faut que les lumières mènent à l’équité, de gré ou de force. D’ailleurs, il ne s’agit plus pour le tiers état d’être mieux ou de rester comme il était. La circonstance ne permet point ce calcul ; il faut avancer ou reculer, il faut abolir ou reconnaître et légaliser des privilèges iniques et insociaux. Or, on doit sentir combien serait insensé le projet de consacrer, à la fin du dix-huitième siècle, les abominables restes de la féodalité. Ici, la langue a survécu à la chose. Les nobles se plaisent à prononcer les mots de roturiers, de manants, de vilains. Ils oublient que ces expressions,