Page:Sieyès-Qu'est ce que le tiers état-1888.djvu/117

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qualité de citoyens jouir, confondus avec le reste de la société, de leurs droits politiques à la représentation. J’ai déjà dit qu’en revêtant le caractère de privilégié, ils sont devenus les ennemis réels de l’intérêt commun ; ils ne peuvent donc point être chargés d’y pourvoir. J’ajoute qu’ils sont les maîtres de rentrer, quand ils le voudront, dans l’ordre social ; ainsi c’est bien volontairement qu’ils s’excluent de l’exercice des droits politiques. Enfin, leurs véritables droits, ceux qui peuvent être l’objet de l’Assemblée nationale, leur étant communs avec les députés qui la composent, ils peuvent se consoler en songeant que ces députés se blesseraient eux-mêmes, s’ils tentaient d’y nuire. Il est donc certain que les seuls membres non privilégiés sont susceptibles d’être électeurs et députés à l’Assemblée nationale. Le vœu du tiers sera toujours bon pour la généralité des citoyens, celui des privilégiés serait toujours mauvais, à moins que, négligeant leur intérêt particulier, ils ne voulussent voter comme de simples citoyens, c’est-à-dire comme le tiers état lui-même.

Donc, le tiers suffit à tout ce qu’on peut espérer d’une assemblée nationale ; donc, lui seul est capable de procurer tous les avantages qu’on a lieu de se promettre des états généraux. Peut-être pensera-t-on qu’il reste aux privilégiés, pour dernière ressource, de se considérer comme une nation à part, et de demander une représentation distincte et indépendante… j’ai répondu d’avance à cette prétention, au premier chapitre de cet écrit, en prouvant que les ordres privilégiés n’étaient point, ne pouvaient pas être un peuple à part. Ils ne sont et ne peuvent être qu’aux dépens d’une véritable nation. Quelle est celle qui consentira volontairement à une telle alliance ? En attendant, il est impossible de dire quelle place deux corps privilégiés doivent occuper dans l’ordre social : c’est demander quelle place l’on veut assigner, dans le corps d’un malade, à l’humeur maligne qui le mine et le tourmente. Il faut la neutraliser, il faut rétablir la santé et le jeu de tous les organes assez bien pour qu’il ne s’y forme plus de ces combinaisons morbifiques, capables de vicier les principes les plus essentiels de la vitalité.