Page:Sieyès-Qu'est ce que le tiers état-1888.djvu/54

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remplies ; qu’elles devaient être naturellement le lot et la récompense des talents et des services reconnus et que si les privilégiés sont parvenus à usurper tous les postes lucratifs et honorifiques, c’est en même temps une iniquité odieuse pour la généralité des citoyens et une trahison pour la chose publique.

Qui donc oserait dire que le tiers état n’a pas en lui tout ce qu’il faut pour former une nation complète ? Il est l’homme fort et robuste dont un bras est encore enchaîné. Si l’on ôtait l’ordre privilégié, la nation ne serait pas quelque chose de moins, mais quelque chose de plus. Ainsi, qu’est-ce que le tiers ? Tout, mais un tout entravé et opprimé. Que serait-il sans l’ordre privilégié ? Tout, mais un tout libre et florissant. Rien ne peut aller sans lui, tout irait infiniment mieux sans les autres. Il ne suffit pas d’avoir montré que les privilégiés, loin d’être utiles à la nation, ne peuvent que l’affaiblir et lui nuire, il faut prouver encore que l’ordre noble[1] n’entre

  1. Dans la 2e édition corrigée, la note s’arrête ici.
  2. Et c’est précisément pour cela qu'il est quelque chose parmi nous. Si le clergé n’était qu’un ordre, il ne serait rien de réel. Il n’y a dans une société politique que des professions privées et des professions publiques. Hors de là, ce ne sont que billevesées ou dangereuses chimères.
  3. Var. : Sont…

    soit faite pour quelques uns de ses membres [a] qui refusent dédaigneusement de prendre part aux travaux utiles des autres citoyens, et à tout ce qu'il y a de fatiguant dans les fonctions publiques. Certes, une pareille classe d'hommes est une rude charge imposée à une nation ! Les abus innombrables dans l'ordre public, la misère, le découragement et l'avilissement de vingt-cinq millions d'hommes en sont des preuves de fait sans réplique.

  1. Je ne parle point du clergé. Dans mes idées, ce n'est pas un ordre mais une profession chargée d'un service public[b]. Ici ce n'est pas la personne qui est privilégiée, mais la fonction, ce qui est bien différent. S'il y a dans l'Eglise des bénéfices oiseux, c'est un abus. Tous les ecclésiastiques doivent être utiles, ou à l'instruction publique, ou aux cérémonies du culte. Parce qu'avant d'être admis dans le clergé, il faut passer par une longue suite d'épreuves, ce n'est pas une raison pour regarder ce corps comme formant une caste à part. On ne peut entendre par ce mot qu'une classe d'hommes qui, sans fonction comme sans utilité, et par cela seul qu'ils existent, jouissent de privilèges attachés à leur personne. Sous ce point de vue, qui est le vrai, il n'y a qu'un ordre, celui de la noblesse. C'est véritablement un peuple à part, mais un faux peuple qui, ne pouvant, à défaut d'organes utiles, exister par lui même, s'attache à une nation réelle, comme ses excroissances végétales qui ne peuvent vivre que de la sève des plantes qu'elles fatiguent et dessèchent. Le Clergé, la Robe, l'Epée et l'Administration font[c] quatre classes de mandataires publics