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Page:Sieyès-Qu'est ce que le tiers état-1888.djvu/55

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point dans l’organisation sociale ; qu’il peut bien être une charge pour la nation, mais qu’il n’en saurait faire une partie. D’abord, il n’est pas possible, dans le nombre de toutes les parties élémentaires d’une nation, de trouver où placer la caste des nobles. Je sais qu’il est des individus, en trop grand nombre, que les infirmités, l’incapacité, une paresse incurable, ou le torrent des mauvaises mœurs, rendent étrangers aux travaux de la société.

L’exception et l’abus sont partout à côté de la règle, et surtout dans un vaste empire. Mais au moins conviendra-t-on que, moins il y a de ces abus, mieux l’état passe pour être ordonné. Le plus mal ordonné de tous serait celui où non seulement des particuliers isolés, mais une classe entière de citoyens mettrait sa gloire à rester immobile au milieu du mouvement général et saurait consumer la meilleure part du produit, sans avoir concouru en rien à le faire naître. Une telle classe est assurément étrangère à la nation par sa fainéantise. L’ordre noble n’est pas moins étranger au milieu de nous, par ses prérogatives civiles et publiques. Qu’est-ce qu’une nation ? Un corps d’associés vivant sous une loi commune et représentés par la même législature. N’est-il pas trop certain que l’ordre noble a des privilèges, des dispenses, même des droits séparés des droits du grand corps des citoyens ? Il sort par là de l’ordre commun, de la loi commune. Ainsi, ses droits civils en font déjà un peuple à part dans la grande nation. C’est véritablement imperium in imperio.

À l’égard de ses droits politiques, il les exerce aussi à part. Il a ses représentants à lui, qui ne sont chargés en rien de la procuration des peuples. Le corps de ses députés siège à part ; et quand il s’assemblerait dans une même salle avec les députés des simples citoyens, il n’en est pas moins vrai que sa représentation est essentiellement distincte et séparée : elle est étrangère à la nation par son principe, puisque sa mission ne vient pas du peuple, et par son objet, puisqu’il consiste à défendre non l’intérêt général, mais l’intérêt particulier.