Page:Sieyès-Qu'est ce que le tiers état-1888.djvu/61

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du royaume ont adressées au gouvernement. Qu’y voit-on ? Que le peuple veut être quelque chose, et en vérité le moins qu’il est possible. Il veut avoir de vrais représentants aux états généraux, c’est-à-dire des députés tirés de son ordre, qui soient habiles à être les interprètes de son vœu et les défenseurs de ses intérêts. Mais à quoi lui servirait d’assister aux états généraux, si l’intérêt contraire au sien y prédominait ! Il ne ferait que consacrer par sa présence l’oppression dont il serait l’éternelle victime.

Ainsi, il est bien certain qu’il ne peut venir voter aux états généraux, s’il ne doit pas y avoir une influence au moins égale à celle des privilégiés, et il demande un nombre de représentants égal à celui des deux autres ordres ensemble. Enfin, cette égalité de représentation deviendrait parfaitement illusoire, si chaque chambre avait sa voix séparée. Le tiers demande donc que les votes y soient pris par tête et non par ordre. Voilà à quoi se réduisent ces réclamations qui ont paru jeter l’alarme chez les privilégiés, parce qu’ils ont cru que par cela seul la réforme des abus devenait indispensable.

La véritable intention du tiers état est d’avoir aux états généraux une influence égale à celle des privilégiés. Je le répète, peut-il demander moins ? Et n’est-il pas clair que si son influence y est au-dessous de l’égalité, on ne peut pas espérer qu’il sorte de sa nullité politique et qu’il devienne quelque chose ? Mais ce qu’il y a de véritablement malheureux, c’est que les trois articles qui forment la réclamation du tiers sont insuffisants pour lui donner cette égalité d’influence dont il ne peut point, en effet, se passer. Vainement obtiendra-t-il un nombre égal de représentants tirés de son ordre : l’influence des privilégiés viendra se placer et dominer dans le sanctuaire même du tiers. Où sont les postes, les emplois, les bénéfices à donner ? De quel côté est le besoin de la protection ? De quel côté est le pouvoir de protéger ?… Et les non-privilégiés qui paraîtraient les plus propres par leurs talents à soutenir les intérêts de leur ordre ne sont-ils pas élevés dans un respect superstitieux ou forcé envers