Page:Sieyès-Qu'est ce que le tiers état-1888.djvu/62

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la noblesse ? On sait combien les hommes en général sont faciles à se plier à toutes les habitudes qui peuvent leur devenir utiles. Ils pensent constamment à améliorer leur sort ; et lorsque l’industrie personnelle ne peut avancer par les voies honnêtes, elle se jette dans de fausses routes. Je ne sais quel peuple de l’antiquité, pour accoutumer ses enfants aux exercices violents ou adroits, n’accordait des aliments qu’après leurs succès ou leurs efforts en ce genre.

De même, parmi nous, la classe la plus habile du tiers état a été forcée, pour obtenir son nécessaire, de se dévouer à la volonté des hommes puissants. Cette partie de la nation en est venue à former comme une grande antichambre où, sans cesse occupée de ce que disent ou font ses maîtres, elle est toujours prête à tout sacrifier aux fruits qu’elle se promet du bonheur de plaire à voir de pareilles mœurs, comment ne pas craindre que les qualités les plus propres à la défense de l’intérêt national ne soient prostituées à celle des préjugés ? Les défenseurs les plus hardis de l’aristocratie seront dans l’ordre du tiers état et parmi les hommes qui, nés avec beaucoup d’esprit et peu d’âme, sont aussi avides du pouvoir et des caresses des grands qu’incapables de sentir le prix de la liberté. Outre l’empire de l’aristocratie, qui, en France, dispose de tout, et de cette superstition féodale qui avilit encore la plupart des esprits, il y a l’influence de la propriété : celle-ci est naturelle ; je ne la proscris point ; mais on conviendra qu’elle est encore tout à l’avantage des privilégiés et qu’on peut redouter avec raison qu’elle ne leur prête son puissant appui contre le tiers état. Les municipalités ont cru trop facilement qu’il suffisait d’écarter la personne des privilégiés de la représentation du peuple, pour être à l’abri de l’influence des privilèges. Dans les campagnes et partout, quel est le seigneur un peu populaire qui n’ait à ses ordres, s’il le veut bien, une foule indéfinie d’hommes du peuple ? Calculez les suites et les contrecoups de cette première influence, et rassurez-vous, si vous le pouvez, sur les résultats d’une assemblée que vous voyez fort loin des premiers comices, mais qui