Page:Sieyès-Qu'est ce que le tiers état-1888.djvu/85

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7. Que l’esprit d’imitation n’est pas propre à nous bien conduire.

Nous n’aurions pas tant de foi aux institutions anglaises, si les connaissances politiques étaient plus anciennes ou plus répandues parmi nous. À cet égard, la nation française est composée d’hommes ou trop jeunes ou trop vieux. Ces deux âges, qui se rapprochent par tant d’endroits, se ressemblent encore, en ce qu’ils ne peuvent l’un et l’autre se conduire que par l’exemple. Les jeunes cherchent à imiter, les vieux ne savent que répéter. Ceux-ci sont fidèles à leurs propres habitudes. Les autres singent les habitudes d’autrui. C’est le terme de leur industrie. Qu’on ne s’étonne donc pas de voir une nation qui, à peine, ouvre les yeux à la lumière, se tourner vers la constitution d’Angleterre, et vouloir la prendre pour modèle en tout. Il serait bien à désirer, dans ce moment, que quelque bon écrivain s’occupât de nous éclairer sur les deux questions suivantes : la constitution britannique est-elle bonne en elle-même ? Lors même qu’elle serait bonne, peut-elle convenir à la France ? J’ai bien peur que ce chef-d’œuvre tant vanté ne pût soutenir un examen impartial, fait d’après les principes du véritable ordre politique. Nous reconnaîtrions, peut-être, qu’il est le produit du hasard et des circonstances, bien plus que des lumières. Sa chambre haute se ressent évidemment de l’époque de la révolution. Nous avons déjà remarqué qu’on ne pouvait guère la regarder que comme un monument de superstition gothique.

Voyez la représentation nationale, comme elle est mauvaise dans tous ses éléments, de l’aveu des Anglais eux-mêmes ! Et pourtant les caractères d’une bonne représentation sont ce qu’il y a de plus essentiel pour former une bonne législature. Est-ce dans les vrais principes qu’a été puisée l’idée de séparer le pouvoir législatif en trois parties, dont une seule est censée parler au nom de la nation. Si les seigneurs et le roi ne sont pas des représentants de la nation, ils ne sont rien dans le pouvoir législatif, car la nation seule peut vouloir pour elle-même, et, par conséquent, se créer des lois. Tout ce qui entre dans le corps législatif n’est compétent à voter pour les peuples qu’autant