Page:Sieyès-Qu'est ce que le tiers état-1888.djvu/90

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entre eux des besoins publics et des moyens d’y pourvoir. On voit qu’ici le pouvoir appartient au public. Des volontés individuelles en sont bien toujours l’origine et en forment les éléments essentiels ; mais considérées séparément, leur pouvoir serait nul. Il ne réside que dans l’ensemble. Il faut à la communauté une volonté commune ; sans l’unité de volonté, elle ne parviendrait point à faire un tout voulant et agissant. Certainement aussi, ce tout n’a aucun droit qui n’appartienne à la volonté commune. Mais franchissons les intervalles de temps. Les associés sont trop nombreux et répandus sur une surface trop étendue pour exercer facilement eux-mêmes leur volonté commune. Que font-ils ? Ils en détachent tout ce qui est nécessaire pour veiller et pourvoir aux soins publics, et cette portion de volonté nationale, et par conséquent de pouvoir, ils en confient l’exercice à quelques-uns d’entre eux. Telle est l’origine d’un gouvernement exercé par procuration. Remarquons sur cela plusieurs vérités. 1º la communauté ne se dépouille point du droit de vouloir. C’est sa propriété inaliénable. Elle ne peut qu’en commettre l’exercice. Ce principe est développé ailleurs. 2º le corps des délégués ne peut pas même avoir la plénitude de cet exercice. La communauté n’a pu lui confier de son pouvoir total que cette portion qui est nécessaire pour maintenir le bon ordre. On ne donne point du superflu en ce genre. 3º il n’appartient donc pas au corps des délégués de déranger les limites du pouvoir qui lui a été confié. On conçoit que cette faculté serait contradictoire à elle-même.

Je distingue la troisième époque de la seconde, en ce que ce n’est plus la volonté commune réelle qui agit, c’est une volonté commune représentative. Deux caractères ineffaçables lui appartiennent ; il faut le répéter. 1º Cette volonté n’est pas pleine et illimitée dans le corps des représentants, ce n’est qu’une portion de la grande volonté commune nationale. 2º Les délégués ne l’exercent point comme un droit propre, c’est le droit d’autrui ; la volonté commune n’est là qu’en commission.

Actuellement, je laisse une foule de réflexions auxquelles cet exposé nous conduirait assez naturellement, et je marche à mon but. Il s’agit de savoir ce qu’on doit entendre par la constitution politique d’une société, et de remarquer ses justes rapports avec la nation elle-même. Il est impossible de créer un corps pour une fin, sans lui donner