Page:Sieyès-Qu'est ce que le tiers état-1888.djvu/89

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constitution, comme quelques-uns s’obstinent à le soutenir, et que par elle l’Assemblée nationale soit divisée, ainsi qu’ils le prétendent, en trois députations de trois ordres de citoyens, on ne peut pas, du moins, s’empêcher de voir qu’il y a de la part d’un de ces ordres une réclamation si forte qu’il est impossible de faire un pas de plus sans la juger. Or, à qui appartient-il de décider de pareilles contestations ? On sent bien qu’une question de cette nature ne peut paraître indifférente qu’à ceux qui, comptant pour peu en matière sociale les moyens justes et naturels, n’estiment que ces ressources factices, plus ou moins iniques, plus ou moins compliquées, qui font partout la réputation de ce qu’on appelle les hommes d’État, les grands politiques. Pour nous, nous ne sortirons point de la morale ; elle doit régler tous les rapports qui lient les hommes entre eux à leur intérêt particulier et à leur intérêt commun ou social. C’est à elle à nous dire ce qu’on aurait dû faire, et, après tout, il n’y a qu’elle qui puisse le dire. Il en faut toujours revenir aux principes simples, comme plus puissants que tous les efforts du génie.

Jamais on ne comprendra le mécanisme social, si l’on ne prend pas le parti d’analyser une société comme une machine ordinaire, d’en considérer séparément chaque partie, et de les rejoindre ensuite, en esprit, toutes l’une après l’autre, afin d’en saisir les accords et d’entendre l’harmonie générale qui en doit résulter. Nous n’avons pas besoin, ici, d’entrer dans un travail aussi étendu. Mais puisqu’il faut toujours être clair et qu’on ne l’est point en discourant sans principes, nous prierons au moins le lecteur de considérer dans la formation des sociétés politiques trois époques dont la distinction préparera à des éclaircissements nécessaires.

Dans la première, on conçoit un nombre plus ou moins considérable d’individus isolés qui veulent se réunir. Par ce seul fait, ils forment déjà une nation ; ils en ont tous les droits ; il ne s’agit plus que de les exercer. Cette première époque est caractérisée par le jeu des volontés individuelles. L’association est leur ouvrage. Elles sont l’origine de tout pouvoir.

La seconde époque est caractérisée par l’action de la volonté commune. Les associés veulent donner de la consistance à leur union ; ils veulent en remplir le but. Ils confèrent donc, et ils conviennent