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DE DELACROIX AU NÉO-IMPRESSIONNISME

la loi de l’évolution graduelle et du progrès dans l’âme humaine. Relativement à la simple beauté, la différence existant entre une couleur dégradée et une couleur non dégradée peut être facilement appréciée en étendant sur du papier une teinte unie de couleur rose et en plaçant à côté une feuille de rose. La triomphante beauté de la rose, comparée aux autres fleurs, dépend entièrement de la délicatesse et de la quantité de ses dégradations de couleur, toutes les autres fleurs étant, soit moins riches en dégradations, de ce fait qu’elles ont moins de pétales accumulés, soit moins délicates, pour être tachetées ou veinées au lieu d’être nuancées. »

Puis Ruskin affirme que Turner, dans sa passion de couleur, n’a pas omis ce moyen d’embellir ses teintes :

« Dans les plus grandes peintures à l’huile de Turner, de six ou sept pieds de longueur peut-être sur quatre ou cinq de hauteur, vous ne trouverez pas un fragment de couleur de la grosseur d’un grain de blé qui ne soit dégradé. »

Les néo-impressionnistes, dont les tableaux sont divisés à l’infini, ne sont-ils pas les plus fidèles observateurs de cet important facteur de beauté, la dégradation, sans laquelle il n’est pas de belle couleur ?

Ayant ainsi signalé l’importance de la dégradation, Ruskin engage le peintre à l’étudier dans la nature, où sans cesse il en trouvera les traces harmonieuses :

« Aucune couleur de la nature n’existe, dans les circonstances ordinaires, sans dégradation. Si vous ne le voyez pas, la faute en est à votre expérience. Vous le reconnaîtrez en temps voulu, si vous vous exercez suffisamment. Mais, en général, vous pouvez le constater tout de suite. »