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DE DELACROIX AU NÉO-IMPRESSIONNISME

tres très novateurs qui ont été conspués en ce siècle et qui ont ensuite imposé leur vision particulière. Ces injustices, cette lutte, ces triomphes, c’est l’histoire de l’art.

On conteste d’abord toute manifestation nouvelle ; puis, lentement, on s’habitue, on admet. Cette facture qui choquait, on en perçoit la raison d’être, cette couleur qui provoquait des clameurs semble puissante et harmonieuse. L’inconsciente éducation du public et de la critique s’est faite, au point qu’ils se mettent à voir les choses de la réalité telles que s’est plu à les figurer le novateur : sa formule, hier honnie, devient leur critérium. Et, en son nom, l’effort original qui se manifestera ensuite sera bafoué, jusqu’au jour où il triomphera, lui aussi. Chaque génération s’étonne après coup de son erreur, et récidive.

Vers 1850, on écrivait ceci au sujet des tableaux de Corot — car, oui, le doux Corot froissait le goût du public :

« Comment M. Corot peut-il voir la nature telle qu’il nous la représente ?… C’est en vain que M. Corot voudrait nous imposer sa façon de peindre les arbres, ce ne sont pas des arbres, c’est de la fumée. Pour notre part, dans nos promenades, il ne nous a jamais été donné de voir des arbres ressemblant à ceux de M. Corot. »

Et vingt-cinq ans plus tard, lorsque Corot a triomphé, on l’invoque pour nier Claude Monet :

« Monet voit tout en bleu ! Terrains bleus, herbe bleue, arbres