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DE DELACROIX AU NÉO-IMPRESSIONNISME

on ne peut trouver la moindre parcelle de couleur pure. Particulièrement, dans ses Boulevards de 1897-98, ce grand peintre s’est efforcé de reconstituer, par de complexes mixtures de bleu, de vert, de jaune, d’orangé, de rouge, de violet, les teintes lugubres et éteintes de la boue des rues, de la lèpre des maisons, de la suie des cheminées, des arbres noircis, des toits plombés et des foules mouillées, qu’il voulait représenter en leur réalité triste. Mais, dans ce cas, pourquoi exclure les ocres et les terres, qui ont encore de la beauté chaude et transparente et qui fournissent des teintes grises beaucoup plus fines et plus variées que celles qui résultent de ces triturations de couleurs pures ? Qu’est-il besoin de si belles matières si on en ternit l’éclat ? Delacroix s’efforçait de créer de la lumière avec des couleurs éteintes : les impressionnistes qui, par droit de conquête, ont la lumière sur leur palette, l’éteignent volontairement.

8. Il faut signaler aussi que, dans l’emploi du mélange optique[1], les impressionnistes répudient toute méthode

  1. Un mélange pigmentaire est un mélange de couleurs-matières, un mélange de pâtes colorées. Un mélange optique est un mélange de couleurs-lumières, et, par exemple, le mélange, au même endroit d’un écran, de faisceaux lumineux diversement colorés. — Sans doute, le peintre ne peint pas avec des rayons de lumière. Mais, de même que le physicien peut restituer le phénomène du mélange optique par l’artifice d’un disque aux segments de diverses couleurs qui tourne rapidement, un peintre peut le restituer par la juxtaposition de menues touches multicolores. Sur le