Page:Silvestre - Au pays des souvenirs.pdf/28

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miné par sa présence. Il m’est resté dans l’esprit, je dirais presque dans les yeux, avec l’intensité que prennent sous les yeux les objets quand l’esprit est tout à une émotion. Une petite table en chêne avec un tapis, une chaise haute, au mur une superbe esquisse de Delacroix, le maître de son fils. Je ne pus trouver un seul vocable de reconnaissance. Mme Sand fut aussi quelque temps sans me parler, et le premier mot qu’elle prononça fut celui de timidité, — pour elle-même ! Je crois bien que nous n’avons pas dit vingt paroles à nous deux ce jour-là. Et cependant je sortis de là adopté, me réfugiant sous le patronage d’un esprit plein de grandeur et de tendresse, sentant en moi je ne sais quoi de filial pour ce génie clément aux faibles, pour cet être si plein de bonté pénétrante, pour cette femme auguste dont l’âge nimbait le front d’une auréole d’argent.

Elle ressemblait cependant encore, dans ce temps-là, au portrait dont j’ai parlé plus haut. Ce qui m’avait frappé, c’était la fermeté persistante de ses traits, malgré un certain embonpoint de visage. Ils donnaient l’impression de ces images de cuivre, où les rides elles-mêmes ont des vigueurs et des rigidités. Rien d’affaissé dans le développement du menton, rien qui sentit la vieillesse. Ses mains m’avaient surtout rempli d’admiration : de vraies petites mains d’homme, effilées aux doigts, légèrement charnues sur le dessus, et qui semblaient modelées dans un métal pur et souple à la fois,