Page:Silvestre de Sacy - Calila et Dimna, ou Fables de Bidpai, 1816.djvu/33

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Perse, et dans la religion des mages dont il fit long-temps profession. Son père, appelé Dadouyèh, avoit été chargé, sous le gouvernement du fameux Haddjadj ben-Yousouf, de la perception des impôts dans l’Irak et la province de Farès. Comme il s’étoit rendu coupable d’extorsions et de vexations dans l’exercice de sa place, Haddjadj le fit mettre à la torture ; et sa main s’étant retirée par l’effet des tourmens qu’il éprouva, on le surnomma depuis ce temps-là مقفّح Mokaffa ; le verbe تقغًح signifiant en arabe, se gripper, se recroqueviller. Son fils Abd-allah, dont il est question ici, étoit attaché au service d’Isa ben-Ali, oncle paternel des deux premiers khalifes de la maison d’Abbas, Saffah et Mansour. Ce fut entre les mains d’Isa qu’Abd-allah abjura sa religion paternelle et embrassa l’islamisme. Son orthodoxie fut cependant toujours très-suspecte. On l’accuse d’avoir travaillé, mais en vain, avec quelques autres ennemis du mahométisme, à imiter, et même à surpasser le style de l’Alcoran, que tout bon musulman doit tenir pour inimitable, et pour supérieur à ce que peuvent produire les talens humains les plus éminens.

On demandoit un jour à Abd-allah, fils d’Almokaffa, de qui il avoit appris les règles de la civilité. J’ai été moi-même mon maître, répondit-il ; toutes les fois que j’ai vu un autre faire quelque bonne action, je l’ai imitée, et quand j’ai vu quelqu’un faire une chose malhonnête, je l’ai évitée.

Abd-allah étoit naturellement enclin à la raillerie, et ce penchant, auquel il s’abandonnoit imprudemment, ne contribua pas peu à sa fin tragique, comme on le verra. On peut croire, d’après cela, que le jugement que porta de lui le célèbre Khalil ben-Ahmed, étoit bien fondé. Ces deux hommes savans s’étant un jour rencontrés, on demanda à Khalil, lorsqu’ils se furent séparés, ce qu’il pensoit d’Abd-allah. Il a, répondit-il, plus de science que de jugement. Abd-allah, interrogé de même au sujet de Khalil, décida qu’il avoit plus de jugement que de science.

À peine le khalife Mansour étoit-il sur le trône, qu’il eut à se défendre contre un compétiteur redoutable, son oncle Abd-allah,